DOUTE

Article publié dans la Lettre n° 255


DOUTE de John Patrick Shanley. Texte français Dominique Hollier. Mise en scène Roman Polanski avec Thierry Fremont, Dominique Labourier, Noémie Dujardin, Félicité Wouassi.
On se croirait réellement à la messe. Michel Winogradoff a réalisé une bande son très efficace, personnage à part entière, dans une belle mise en scène, aussi dépouillée que glacée de Roman Polanski. La voix du Père Flynn s’élève, amplifiée par le micro. Du haut de sa chaire, il s’adresse à ses ouailles attentives, en ce dimanche de 1964. Il a consacré son sermon au doute. Qui en effet, un jour de sa vie, n’a pas douté ? Ce doute pourtant ne semble pas effleurer sœur Aloysius, directrice de l’école Saint-Nicolas, établissement qu’elle dirige d’une main de fer. Dominique Labourier, dans une formidable composition, lui prête son allure calme au jugement péremptoire et sans appel, incarnant la religieuse pernicieuse qui finit par pousser au crime. Sœur James, jeune professeur de quatrième va l’apprendre à ses dépens. Les reproches tombent sur l'enseignante un peu trop passionnée par l’histoire. Sœur Aloysius a pourtant un autre chat à fouetter. Le jeune Donald Muller, douze ans, la préoccupe. Seul enfant noir de l’école, il sera tôt ou tard pris à parti par les autres élèves, elle en est certaine, mais c’est plutôt l’intérêt que lui porte le père Flynn qui retient toute son attention. Celui-ci, très populaire, est chargé de l’éducation religieuse mais dispense aussi les cours d’éducation physique. Il a pris le jeune garçon sous son aile et en a même fait son enfant de choeur. Les questions insidieuses posées par la supérieure à sœur James vont influencer le jugement de celle-ci qui se souvient d’une anecdote, suspecte à ses yeux, concernant les relations entre le père Flynn et son élève. Il n’en faut pas davantage à Sœur Aloysius pour soupçonner le prêtre de pédophilie. Elle lui en fait part sans ménagement mais ce dernier, remarquable Thierry Frémont, prêtre foncièrement bon dans sa tentative « de faire le bien », se défend pied à pied. Convaincue de sa culpabilité, la supérieure fera tout pour chasser le père Flynn de son établissement, tentant même de convaincre madame Muller, la mère de Donald du danger qu’il représente pour la santé morale de son fils.
John Patrick Shanley situe son intrigue dans un quartier du Bronx, où il est né lui-même. Elevé au sein d’écoles catholiques, il puise dans ses propres souvenirs. C’est pourquoi décrit-il avec autant de précision sœur Aloysius, prototype de la religieuse qui voit le mal partout et dont les conclusions hâtives peuvent briser bien des avenirs. Cependant, où se situent le doute et la certitude? Les personnages de Doute posent diablement bien la question. Si Soeur Aloysius, sûre de son jugement, ne le sera plus à la fin, le Père Flynn préfèrera démissionner plutôt que de voir sa réputation entachée ou son passé ressurgir. Il était « très attaché à ce gamin ». Et celui-ci ne s’y est pas trompé si l’on en croit l’aveu de sa mère sur ses penchants. Là est le coup de génie de l’auteur, dans l’intervention inattendue de madame Muller qui, dans une logique implacable, veut dédramatiser : «Parfois les choses ne sont pas tout noir ou tout blanc ». Pour elle, le doute comme la certitude sont un luxe dont elle ne peut se permettre. Félicité Wouassi confère à ce rôle une détermination et une émotion formidables. Noémie Dujardin joue avec beaucoup de talent la fragile sœur James. Elle est elle-même l’incarnation du doute, confrontée à un monde froid, dur et sans âme, un monde où le père Flynn fait même taire les oiseaux, il est vrai qu’il s’agit de corbeaux ! Théâtre Hébertot 17e.


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