LA DOUBLE INCONSTANCE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre387
du 26 octobre 2015


LA DOUBLE INCONSTANCE de Marivaux. Mise en scène Adel Hakim avec Lou Chauvain, Frédéric Cherbœuf, Etienne Coquereau, Malik Faraoun, Jade Herbulot, Mounir Margoum, Irina Solano.
Assister à la nouvelle mise en scène d’une pièce, si connue soit-elle, de Marivaux, c’est faire le pari d’un nouvel émerveillement. Comment se lasser, en effet, des chatoiements de cet imbroglio amoureux, qui n’a rien d’un marivaudage… ?
Un Prince jette son dévolu sur une ingénue Silvia et, tout en prétendant s’en faire aimer avant les noces, l’arrache sans vergogne à son non moins ingénu amoureux, Arlequin. Quitte, d’ailleurs, à s’y brûler les ailes, d’obséquieux courtisans se prêtent au jeu de la manipulation princière, dans un univers clos, sans échappatoire. A la virulence des naïfs mis en cage dorée vont s’opposer la cruauté larvée des puissants, le poison des complots, l’appel subtil et insidieux aux ressorts de la coquetterie, de la gourmandise, de la jalousie et de la corruption. La tentation des pouvoirs, même frelatés, même mesquins, sera trop forte pour que l’innocence puisse lui résister. Et le désamour entaché de mauvaise foi lui fera cortège. Les robes offertes sont trop somptueuses, les mets trop savoureux, le miel des paroles trop coulant, surtout quand on n’a jamais eu la fréquentation de ces codes sociaux et langagiers.
Ces couples fluctuants se marieront-ils ? A coup sûr. Seront-ils heureux ? Rien n’est moins certain. Silvia et Arlequin ne s’aimaient peut-être que faute d’un meilleur parti dans leur petit monde d’origine. Mais, à force d’éroder la sincérité en la projetant dans le miroir aux alouettes, on risque d’en perdre la saveur, et la fraîcheur de l’innocence est bien fragile face aux appétits des cynismes divers. Quant à la fidélité…
La Double Inconstance est une histoire de complicité. Complicité initiale des petits face aux grands et leurs affidés. Complicité trouble des tenants du pouvoir qui ne feront qu’une bouchée de ces sans-grade fascinés par les hochets qu’on leur tend. Complicité feinte des amours avouées et des protections revendiquées.
C’est aussi et surtout une histoire de violence sans brutalité apparente. Même si, par la spontanéité de leurs refus initiaux, Silvia et Arlequin braquent involontairement le projecteur sur cette servitude courtisane, ils en seront finalement les victimes consentantes. Sans parler des laissés-pour-compte, victimes collatérales de la machination. C’est cette violence insidieuse qu’Adel Hakim a choisi de mettre en relief avec beaucoup d’intelligence, en faisant le choix d’une transposition contemporaine. L’univers du premier acte, blanc et dépouillé de connotations temporelles et spatiales, se fait plus coloré, verdoyant, mondain, au fil du déroulement. A la table de la gourmandise d’Arlequin répondront le rouge luxuriant de la robe de Silvia et le lit des troubles accointances. Et le final s’inscrit dans un aujourd’hui du pouvoir financier et affairiste. Gesticulations, vociférations, désordre des rébellions feront insensiblement place à un esclavage consenti sous les oripeaux de l’allégeance au luxe et aux honneurs entrevus. La sincérité fera les frais de ce piège patiemment tissé et, au-delà de velléités bravaches de vengeance, les jeunes tourtereaux revêtiront, sans rechigner désormais, les masques qu’on leur aura glissés.
La surprise de l’amour ? La surprise toujours neuve d’un texte intemporel, d’une langue bien servie dans sa fluidité sans égale, d’une mise en scène alerte et inventive, d’acteurs bien dans leurs gestes, dans leurs mots, dans leur rôle.
Marivaux sans une ride, décidément. A.D. TQI Ivry 94.


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