DOROTHY PARKER ou
EXCUSEZ-MOI POUR LA POUSSIÈRE
Article
publié dans la Lettre n° 397
du
23 mai 2016
DOROTHY PARKER ou EXCUSEZ-MOI POUR LA POUSSIÈRE de Jean-Luc Seigle. Mise en scène Arnaud Sélignac avec Natalia Dontcheva.
Elle a des bagues à tous les doigts, des tas de bracelets, des tas de colliers… Et n’a pas tout à fait retiré le manteau de vison qu’elle portait à son retour. Nimbée de Chanel n°5, Dorothy Parker s’éveille dans la chambre d’un hôtel new-yorkais où elle a établi ses quartiers. Une sacrée gueule de bois l’empêche de réaliser qu’elle n’est pas aveugle, que ses yeux sont seulement sertis d’un masque. Accro au Jack Daniel’s, elle peine à reprendre ses esprits, appelle Charlie, le fidèle réceptionniste, et lui réclame un petit déjeuner pour le moins atypique.
Aux États-Unis, dans les années 50, le Maccarthysme fait rage. D’origine juive par son père, très engagée politiquement, - elle compte parmi les défenseurs de Sacco et Vanzetti - scénariste dérangeante inscrite sur la liste noire du cinéma, elle a été évincée des studios hollywoodiens. Poétesse reconnue, elle publie des nouvelles et des articles au vitriol et tente surtout de coucher sur le papier le roman qu’elle veut absolument écrire. Sa solitude est interrompue par les quelques échanges téléphoniques avec Charlie, une ou deux amies et le scénariste Alan Campbell, son ex-mari de douze ans son cadet, qu’elle épouse une seconde fois. Ce remariage lui donne l’occasion d’un bref séjour à Los Angeles.
La plume de Jean-Luc Seigle s’attaque à cette personnalité emblématique du XXe siècle que fut Dorothy Parker (1893-1967) mais le temps faisant son œuvre, les adjectifs « subversive, cruelle, indignée » qui la qualifient, perdent de leur virulence chez la femme vieillissante qu’elle devient. Face à la société américaine puritaine dans laquelle elle évolue, les réflexions que l’auteur lui prête se résument ici à quelques traits d’humour et à une indignation qui se limite aux petites phrases récurrentes « je hais la famille, je hais les éditeurs, je hais les acteurs, je hais les actrices, je hais les femmes au foyer, je déteste Hollywood… », déclarations lapidaires et sans suite, entrecoupées d’une allusion à Hemingway, ce diamant brut doublé d’un salopard dont elle aurait aimé avoir le talent, le rappel de son passage devant la commission des affaires intérieures d’Edgar Hoover, de quelques repères historiques et d’un projet avorté de scénario pour Marilyn Monroe. Entre deux verres du célèbre whiskey, ce sont surtout Alan, ses chiens et ce premier roman qu’elle n’écrira jamais qui occupent désormais ses pensées.
« Allo », c’est le mot que j’ai le plus dit dans ma vie avec « roman », résume-t-elle. On l’espérait flamboyante, mais l’on ne reçoit que le reflet pathétique d’une femme vaincue par l’alcool et la frustration d’une vie qu’elle aurait souhaitée conforme au rêve américain, celui de Martin Luther King qu’elle désigna comme son légataire sans l’avoir jamais rencontré.
Là où ses cendres ont étrangement reposé durant tant d’années, une urne en forme de livre aurait été le réceptacle idéal de sa « poussière » et de l’épitaphe qu’elle y fit inscrire, l’ultime bravade de la révoltée qu’elle fut !
L’interprétation éclatante de Natalia Dontcheva engendre une ovation amplement méritée. Théâtre du Lucernaire 6e.
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