DONOGOO

Article publié dans la Lettre n° 305


DONOGOO de Jules Romains. Mise en scène Jean-Paul Tribout avec Eric Chantelauze, Patrick d’Assumcao, Jacques Fontanel, Jean-François Guilliet, Pierre Trapet, Laurent Richard, Xavier Simonin, Jean-Paul Tribout.
Du haut du pont sous lequel coule la Moselle, Lamendin est sombre. Il a perdu huit kilos mais c’est surtout « l’âme en général qui ne marche plus ». Les eaux sombres du canal l’attirent comme un aimant. Paraît alors son ami Bénin qui l’installe devant le petit blanc d’un copain bistrotier. Le petit blanc revigore mais il faut mieux. Il l’envoie donc se faire soigner chez le professeur Ruffisque, directeur de « l’Institut de psychothérapie biométrique » qui l’installe sur une chaise miracle qu’il a mise au point, machine tout droit sortie de l’imagination du créateur de Frankenstein. L’engin se détraque mais remet notre déprimé sur pied. Fort de sa réussite et persuadé qu’il faut de l’activité à son patient, Ruffisque le somme de rencontrer le grand géographe Le Trouhadec, professeur au Collège de France. Celui-ci ne se remet pas de ne pas être encore membre de l’Institut. Les élections pour nommer le prochain membre ont lieu dans six mois mais une bévue lui colle à la peau. Dix ans plus tôt, dans l’un des tomes de son admirable « Géographie de l’Amérique du Sud », il a en effet décrit de long en large la ville de Donogoo-Tonkin, sise aux confins du Brésil, aux abords d’un filon aurifère mirifique, ville qui n’existe pas. « Comment voulez-vous qu’un savant aille tout vérifier » se défend-t-il. Lamendin comprend et ne voit qu’une issue : Persuader les banques que la ville existe, que son développement peut les enrichir et, avec leur argent, fonder Donogoo !
La France ploie alors sous le vent de la crise de 29 et les investisseurs sont frileux ! « L’affaire vierge » qu’il leur apporte avec un tel aplomb va pourtant attirer l’un d’entre eux, Margajat, client du bistrotier cité plus haut, pas trop regardant sur les méthodes employées pour faire de l’argent. Un doigt d’illusion, deux de battage médiatique, trois de soif de l’or et « La Compagnie Générale Franco-américaine de Donogoo-Tonkin » voit tout à coup le jour ! Lamentin décide alors d’aller sur place fonder la ville afin de sortir du néant le faux eldorado. Mais les mots « sables aurifères » grisent plus d’un aventurier. Lamentin saura les mâter. Dans Donogoo-Tonkin créé de toutes pièces, règnera une dictature mâtinée d’un colonialisme digne de l’époque.
« O tempora o mores ! » ? Oui et non. Le trader d’aujourd’hui ressemble fort au faiseur d’hier même si de nos jours l’escroquerie se forge à coup de sociétés virtuelles et non de ville imaginaire ! Jules Romains nous le prouve avec une verve sans pareille dans un contexte de choix, celui de la crise des années 30. Les escrocs et la crise financière qu’il décrit ressemblent comme des frères à ceux qui sévissent dans notre monde actuel. La différence est dans la forme et la manière. Jean Paul Tribout prend à bras le corps cette comédie au sujet plaisant mais au contexte plus grave. La réussite est dans le rythme qu’il va donner à l’intrigue. Il fait le bon choix en représentant par séquences brèves les différentes péripéties à l’aide d’un décor minimaliste mais d’une formidable efficacité. Les sept comédiens endossent tous les rôles, caméléons hilarants revêtus de costumes, savoureux, archétypes de leur fonction. En un clin d’œil, se dessinent, telle une bande dessinée, banquier, savant ou aventurier, accompagnés par une musique et des lumières très étudiées. Le divertissement échevelé est bien là, mêlé à la réalité sans concession du propos. Théâtre 14-Jean-Marie Serreau 14e.


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