DON JUAN
(de Bertolt Brecht)

Article publié dans la Lettre n° 322
du 7 février 2011


DON JUAN de Bertolt Brecht d’après Molière. Mise en scène Jean-Michel Vier avec Valérie Alane, Sylvain Katan, Charlotte Rondelez, Guy Segalen, Pierre Val, Cédric Villenave.
Don Juan autrement, c’est ce que donne à voir Bertold Brecht en 1953 lorsqu’il décide d’adapter l’œuvre mythique de Molière avec la collaboration de Benno Besson et d’Elisabeth Hauptmann. L’auteur de Maître Puntila et son valet Matti connaît parfaitement un ordre social qu’il souhaite désacraliser. Plus de héros romantique en quête d’absolu et de conquêtes. Exit le lyrisme de certains beaux monologues. Sous sa plume, Don Juan devient un libre jouisseur, un parasite qui souille tout ce qu’il touche et dont la course ne sera stoppée que par le courroux céleste, ici la machinerie théâtrale.
Jean-Michel Vier et sa compagnie perçoivent fort bien la vision comique du personnage et donnent libre cours à leur imagination en lui ôtant son prestige de séducteur pour lui coller l’étiquette du vil profiteur. Le duo Puntila / Matti fut, paraît-il, inspiré du clochard et du milliardaire ivre des Temps modernes de Chaplin. Pour dépeindre celui de Molière, la compagnie s’engouffre allègrement dans cet esprit en lui ajoutant une pincée de comédie italienne et saupoudrant le tout d’un soupçon clownesque, dans une ambiance de joyeuse cruauté.
La Sicile est le lieu choisi pour l’action. La scénographie reflète l’imagination débordante de Christoph Guillermet et Jean-Michel Vier. Avec des toiles, deux caisses, trois bouts de ficelle et quelques accessoires, ils restituent les murs ou la salle d’un palais, le port, la forêt et le cimetière dans lesquels se fondent les personnages : père courroucé, femme délaissée en proie à l’indignation puis au renoncement, pêcheurs venus sauver Don Juan et Sganarelle de la noyade et trahis, donzelles embobinées par de vaines promesses, mendiant incorruptible, tailleur en quête de son dû, serviteurs terrorisés, commandeur implacable…
Profitant du dynamisme de la mise en scène et glissant pour la plupart d’un rôle à l’autre avec une formidable adresse, la troupe s’en donne à cœur joie, avec au besoin le recours d’une marionnette ou d’un balai pour les rôles mineurs. Face à ce Don Juan revisité que campe l’excellent Pierre Val, Sylvain Katan excelle dans le rôle de Sganarelle, exprimant avec justesse le bon sens et le libre arbitre de son personnage, sans complaisance pour le maître qu’il sert.
Au milieu de tout ce charivari, dont le côté burlesque est accusé par des costumes inénarrables, l’imitation de deux illustres personnages de la République française ne passe pas inaperçue, provoquant des rires entendus et attendus. Un Don Juan décalé et plaisant qui devrait séduire le jeune public. Théâtre de l’Œuvre 9e.


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