DOM JUAN ou le festin de pierre

Article publié dans la Lettre n° 202


DOM JUAN ou le Festin de pierre de Molière. Mise en scène de Jacques Lassalle avec 16 comédiens dont Jean Dautremay, Igor Tyczka, Andrzej Seweryn, Eric Ruf (en alternance Laurent d’Olce), Bruno Raffaelli, Florence Viala, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Julie Sicard.
Lorsqu’en 1630, Fray Gabriel Téllez, alias Tirso de Molina, publia El Burlador de Sevilla y Convidado de Piedra, il ne pensait sans doute pas que son Don Juan deviendrait un mythe, passant même dans le vocabulaire courant pour qualifier un séducteur. S’il présente le châtiment du héros comme la juste conséquence d’une vie de plaisirs effrénés, l’Espagne du XVIIe, à laquelle il appartenait, ne pouvait réagir autrement devant ce personnage, incarnation typiquement baroque de la soif jamais satisfaite des jouissances sensuelles. Tirso de Molina, attentif à la leçon morale qui découle de la fin tragique de son héros, n’a pas achevé complètement les traits de sa personnalité, le plus important pour lui étant de souligner où conduit l’excessive confiance en la miséricorde de Dieu. Ses personnages féminins restaient également en suspens mais il serait excessif de ne les considérer que comme une représentation machiste de la tentation du diable, les comédies historiques et d’intrigues amoureuses de l’auteur montrant suffisamment sa bienveillance à l’égard du sexe dit faible, bien loin des jugements de l’Inquisition de l’époque. Cependant, sa puissante intuition psychologique lui permit d’ébaucher les lignes essentielles d’un type humain que la postérité littéraire allait recueillir en l’interprétant de mille manières. On peut donc considérer Tirso de Molina comme le créateur du personnage qui a eu le plus de dérivations dans la littérature universelle, chez Zamora, Molière, Mozart, Goldoni, Byron ou Bernard Shaw pour ne citer que les plus célèbres. Il est d’ailleurs curieux d’examiner les variantes que son personnage est parvenu à donner. Don Juan est l’homme qui tombe amoureux ou celui qui ne tombe jamais amoureux, un jouisseur ou l’homme qui ne savoure pas, le séducteur ou le séduit.
En 1665, Molière dans son Dom Juan ou le Festin de pierre reprend le canevas, faisant du héros un séducteur dont l’obsession quotidienne est de séduire. Plus collectionneur qu’amateur de femmes, il désire mais ne possède jamais. Il en fait un athée, impensable chez Tirso, un jouisseur dont la conscience ne se trouve que dans l’esprit de son valet, et en accentue le cynisme et la désinvolture qui fera dire à Sganarelle: « Tu vois en Dom Juan mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté... ». Le Dom Juan de Molière porte le fardeau des rancoeurs de son auteur, prisonnier des cabales dont il est victime, incapable d’oublier les humiliations de ses détracteurs ni celles infligées par les femmes de sa vie. A travers lui, il règle ses comptes en caricaturant la société dans laquelle il évolue, faite d’hypocrisie et de faux semblants.
Jacques Lassalle reprend le spectacle qu’il avait créé en 1993 au Festival d’Avignon avec Andrzej Seweryn dans le rôle titre qui sévit encore aujourd’hui avec le même talent. La mise en scène sobre, la scénographie suggérée, les décors épurés, l’interprétation sans faille, les lumières suggestives restituent de belle façon l’esprit de la pièce. Jouée dans une semi-obscurité, ce n’est malheureusement qu’à la fin de la représentation que l’on peut apprécier à sa juste valeur la beauté des costumes. Comédie Française 1er (01.44.58.15.15) (Lettre 202). Lien:
www.comedie-francaise.fr.


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