DOM JUAN ou Le festin de pierre

Article publié exclusivement sur Interrnet avec la Lettre n° 361
du 9 décembre 2013


DOM JUAN ou Le festin de pierre de Molière. Mise en scène Jean-Pierre Vincent avec Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Alain Lenglet, Clément Hervieu-Léger, Gilles David, Jérémy Lopez, Suliane Brahim, Adeline D'Hermy, Jennifer Decker, Jean-Michel Rucheton.
On croit tout connaître du Dom Juan de Molière, et en avoir balayé le champ des possibles, tant dans l'interprétation textuelle que dans l'illustration scénique. Il n'est que d'aller voir la nouvelle mise en scène au Théâtre Français pour se déciller d'une telle illusion. Molière est plus déstabilisant, plus réjouissant que jamais. En un mot, d'une jeunesse que les siècles n'ont pas érodée.
Il est presque superflu de raconter les amours compulsives de Dom Juan, ses foucades d'aristocrate débauché, ses accès d'humeur et de provocation, son inextinguible curiosité cynique du monde, sa fin foudroyée. Il ondoie face à ses conquêtes fascinées et bernées, en miroir déformant de son valet bravache et pusillanime.
Ici Dom Juan est l'adolescent pervers et joueur qui prétend ne se refuser aucun caprice, le séducteur câlin et irrésistible, le fils insolent que les objurgations paternelles exaspèrent, le mauvais payeur retors, le despote souriant, redouté et détesté de ses valets.
Loïc Corbery y est remarquable de souplesse protéiforme, tour à tour petit marquis sautillant, bretteur plein de courage désintéressé, Tartufe suborneur. Avec les accents du Cyrano de Bergerac baroque et douloureusement libertin de l'époque. Et, dans son jeu et sa diction, il cultive l'oxymore entre violence des propos et douceur du geste, entre brutalité de maître et persuasion menaçante.
Sganarelle, d'autant plus ample physiquement qu'il est veule dans ses peurs et ses flagorneries, est à l'aune de ces contrastes saisissants. Et Serge Bagdassarian, réjouissant de souplesse, excelle dans des farceries de marionnette.
On oscille entre le malaise et le rire, la fascination dangereuse que subissent les victimes et l'admiration sans réticence pour les mortifères cabrioles du séducteur.
Les éclairages de clair-obscur versent un jour inquiétant sur des arbres inversés, la brume d'un désert, et même les décors d'intérieur ou d'église se font dérangeants. Le gigantisme de ce plateau presque dépouillé est à la démesure d'une telle aventure, et la très haute taille du Commandeur s'avance, tel un Golem rougeoyant.
Du grand théâtre inscrit dans son époque et si intemporel… Comédie Française 1er. A.D.


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