DISCOURS SUR LE BONHEUR

Article publié dans la Lettre n° 328
du 13 juin 2011


DISCOURS SUR LE BONHEUR d’Emilie du Châtelet. Mise en scène Beata Nilska avec Edith Vernes et Sylvain Begert.
Une voix d’homme prononce ces paroles émues : « J’ai perdu un ami de vingt-cinq années, un grand homme qui n’avait de défaut que d’être une femme ». Ainsi s’exprime Voltaire, l’ami de cœur et de corps d’Emilie du Châtelet. Elle est à son bureau, entourée de livres et de papiers divers sur lesquels elle écrit fébrilement par moments, absorbée dans une réflexion polymorphe. Morale, philosophie, physique, santé, rien ne lui est étranger. Sentir et penser sont les points de départ et d’ancrage d’un discours de l’intelligence qui ne peut que susciter l’admiration. A pas progressifs et mesurés, à la mesure de ses propres va-et-vient sur la scène, elle parcourt les allées de l’illusion, du plaisir, de la cohérence, du sentiment, de la vertu, des préjugés, de l’ambition, des relations morales et sociales.
Témoin quasi muet et à peine caché, son valet Longchamp dévoile en filigrane les contradictions de cette maîtresse impatiente et autoritaire. S’il apporte livres et papiers, les range, les classe, il commet aussi quelques indiscrétions en lisant subrepticement les lettres qu’elle a reçues et dont la lecture l’a bouleversée par la réminiscence de moments heureux et définitivement clos. Voltaire évidemment… et le grand abandon. Si elle est sublime d’intelligence et de clairvoyance, elle n’en est pas moins saisie de passion pour l’artifice des bijoux et la fièvre du jeu. Ce sur quoi ne manque pas de persifler la langue vipérine de la Baronne Du Deffand en voix off. Tant est inclassable la grande Emilie, une femme qui assume ses contrastes, s’abîme dans l’écoute hautement émue du Xerxès de Haendel avant de reprendre le cours d’une implacable logique scientifique, qui orne ses oreilles de diamants et revient échevelée d’une folle nuit de jeu avant de disséquer les arcanes du bonheur. La mise en scène intimiste met en lumière ce vivant conflit dans la double métaphore du bureau, lieu d’élaboration de l’esprit, et du fauteuil, où s’alanguissent les sentiments, les émotions et les regrets poignants.
Sylvain Begert est un Longchamp discrètement omniprésent, admiratif et prévenant au-delà des rebuffades, et donne efficacement la mesure de cette maîtresse contrastée. Edith Vernes incarne avec une grande diversité l’esprit, la fougue et la vraie humanité d’Emilie du Châtelet, femme hors normes, intelligence hors pair, amante tout autant que machine à bien penser. Inclassable vraiment. Un délicieux, et indispensable, feu d’artifices. Théâtre du Lucernaire 6e. A.D.


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