DIS
A MA FILLE QUE JE PARS EN VOYAGE
Article
publié dans la Lettre n° 243
DIS A MA FILLE QUE JE PARS EN VOYAGE
de Denise Chalem. Mise en scène Denise Chalem avec Christine Murillo,
Denise Chalem, Christine Guerdon.
La lourde porte s’est refermée sur Caroline. Très B.C.B.G,
sa petite valise à la main, elle met quelques secondes à apprécier
ce qui sera son domaine durant les trois prochaines années, la cellule
d’une prison. A côté de son lit, un second, occupé par une autre
détenue. Dominique, plutôt revêche, ne prend pas la peine de répondre
à son salut. Caroline s’endort effondrée. Les jours suivants, sa
résistance est vaincue. Elle s’accoutume à la nourriture infecte,
à la promiscuité, au sadisme de l’une des surveillantes. Reste à
apprivoiser sa compagne d’infortune. Un monde les sépare mais à
mesure que le dialogue s’instaure se dessinent deux vies, celle
de Caroline, femme d’affaires condamnée pour faux, usage de faux
et trafique d’influence, son patron et amant trop heureux de lui
faire porter le chapeau. Dominique est quant à elle plus laconique.
Mariée, deux enfants, elle en a eu assez de travailler jour et nuit
pour rapporter au foyer ce que son mari ne gagnait pas, mari qu’elle
dit avoir tué parce qu’il ronflait. Condamnée à douze ans de prison,
elle en a purgé sept mais n’est pas pressée de sortir: « je me plais
en taule, moi ». Et lorsque Caroline lui objecte que l’on ne tue
pas son mari parce qu’il ronfle, « moi, si » rétorque-t-elle péremptoire.
Caroline finira par en savoir davantage, un jour de confidences
vite réprimées, celles d’une vie beaucoup plus sordide avec laquelle
Dominique ne veut en aucun cas renouer.
Le texte de Denise Chalem est en premier lieu une étude très complète
sur le caractère féminin et sur les relations que peuvent être amenées
à entretenir deux femmes dans un univers clos, à la limite du supportable.
Cette amitié qui naît peu à peu, malgré la différence sociale et
intellectuelle, est remarquablement exposée par un dialogue incisif,
violent, mais empreint d’humour et de dérision. Il est ensuite un
état des lieux très précis du monde carcéral, celui extérieur dont
se font l’écho les médias et diverses associations, généralement
au moment des vacances d’été, les pires, avant de retomber dans
l’oubli. C’est aussi celui que l’on ne voit pas, la violence, les
humiliations, les agressions de toutes sortes tant de la part des
codétenues que des surveillantes et sur lequel est posée une chape
de plomb. Grâce à une mise en scène et à une scénographie très étudiées,
Denise Chalem et Chantal Thomas parviennent à ne pas laisser enfermer
le récit dans l’atmosphère confiné de la cellule mais à l’ouvrir
sur le monde extérieur par les bruits qui laissent supposer un monde
vivant, une fenêtre ouverte sur les étoiles et les avions, ce qui
gomme le côté répétitif. Denise Chalem interprète avec maestria
le rôle de Caroline, femme d’affaires momentanément déchue mais
qui n’a pas dit son dernier mot. Christine Murillo, récompensée
à juste titre, tout comme la pièce, par un Molière, fait une composition
époustouflante du personnage de Dominique dont la dureté et la causticité
cachent une infinie tendresse. Théâtre de l’Oeuvre 9e.
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