DIPLOMATIE
Article
publié dans la Lettre n° 323
du
28 février 2011
DIPLOMATIE de Cyril Gely. Mise en
scène Stephan Meldegg avec André Dussollier, Niels Arestrup, Roman
Kané, Olivier Sabin, Marc Voisin.
25 août 1944. Le jour se lève et la chaleur étouffante de la nuit
n’a pas lâché prise. Accoudé à la rambarde de sa suite à l’hôtel
Meurice, le Général Dietrich von Choltitz regarde la capitale s’éveiller
à ses pieds. Les alliés ont débarqué et les deux divisions commandées
par le Général Leclerc approchent à grands pas. Face à son bureau,
un plan de la capitale où sont dûment étiquetés des lieux clés,
les ponts, la place de la Concorde, Notre Dame, Montmartre, l’Arc
de triomphe… Sous ces édifices, des bombes prêtes à exploser. Choltitz
se détourne, se dirige vers son téléphone et s’enquiert auprès de
l’artificier si tout est prêt. Dans moins d’une heure, Paris sautera,
ne sera plus qu’un vaste champ de décombres avec, en dessous, ses
deux millions de civils. Le général a reçu l’ordre de détruire la
ville. Sans état d’âme, il exécutera cet ordre.
C’est alors que survient Raoul Nordling, consul de Suède. Arrivé
de nulle part, il se tient là, devant lui. Le général, stupéfait,
lui demande comment il est entré et ce qui lui vaut cette visite
matinale. Si la réponse à la première question le surprend, l’amuse
même, il n’a cure de la deuxième. Raoul Nordling lui apporte une
lettre du Général Leclerc, Dietrich von Choltitz, méprisant, la
déchire. Il ne compte pas donner suite à la proposition de ce petit
français. Cet homme dont la famille est dans l’armée depuis
plusieurs générations ne peut renier l’éducation qu’il a reçue.
Général nazi, sa loyauté à l’égard du Führer lui interdit de désobéir.
Le consul, né à Paris, aime la plus belle capitale du monde. Il
lui en fait une description qui toucherait le cœur le plus insensible
et il est prêt à tout pour en sauver les âmes. S’engage alors entre
les deux hommes un combat. Les arguments de Choltitz semblent incontournables
mais Nordling est patient. La diplomatie n’est pas un vain mot,
c’est un art qu’il exerce depuis longtemps.
Cyril Gely s’est posé la même question que la plupart des français.
Pourquoi Dietrich von Choltitz, récemment nommé gouverneur de Paris,
n’a-t-il pas exécuté l’ordre de détruire la capitale ? Il imagine
alors qu’un entretien a eu lieu entre le général et Raoul Nordling
et construit un scénario plausible à partir de cette rencontre.
Et là, opère la magie du talent. Le dialogue ciselé de Cyril Gely
est passionnant. La formidable mise en scène de Stephan Meldegg
le souligne brillamment. Si l’ingénieuse disposition des lieux permettant
l’entrée du consul est une trouvaille, la joute oratoire qui se
déroule entre les deux hommes est un véritable tour de force, car
elle dépeint deux personnalités tout à fait vraisemblables. Très
calme, d’une grande politesse, avançant de temps à autre une touche
d’humour, d’une sollicitude calculée, Nordling incarne la Diplomatie.
Il sait qu’il a une longueur d’avance sur l’allemand dans la connaissance
de son adversaire et des derniers événements, mais qu’il lui reste
peu de temps. Alors, patiemment, il tisse sa toile, fil après fil,
afin d’éroder la volonté et la détermination de son adversaire jusqu’à
toucher le point le plus sensible de l’allemand : sa famille… Sa
famille, et le talon d’Achille du général, la Sippenhaftungsgesetz,
une loi issue d’une coutume ancestrale, récemment reprise après
la tentative d’assassinat du Führer, qui livre pieds et poings liés
les siens à l’ire nazi s’il désobéit.
Pour incarner les deux hommes, deux comédiens au parcours aussi
prolifique qu’élogieux. André Dussollier dans le rôle de Nordling
est magistral. Il incarne avec une étincelante subtilité ce consul
amoureux de la France. Face à lui, Niels Arestrup incarne tout aussi
magistralement un général au bord du gouffre, qui voit tout à coup
toutes ses certitudes s’effondrer et sa famille en péril. Une œuvre,
une mise en scène, un casting (n’oublions-pas le reste de la distribution,
juste et authentique) et deux interprétations qui feront date dans
l’histoire du théâtre. Théâtre de la Madeleine 8e.
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