DEUX PETITES DAMES VERS LE NORD

Article publié dans la Lettre n° 283


DEUX PETITES DAMES VERS LE NORD de Pierre Notte. Mise en scène Patrice Kerbrat avec Catherine Salviat, Christine Murillo.
Bernadette et Annettte, deux sœurs dans la vie, se relaient au chevet de leur vieille mère et alternent leur présence, soirs pairs ou impairs, dans les couloirs de « l’hôpital Beaujon, Clichy-la-Garenne ». Ce soir pourtant, elles ont fait une entorse au ballet quotidien. Elles sont au théâtre devant une pièce d’Harold Pinter. Il a beau être prix Nobel de littérature, l’une s’enquiquine pendant que l’autre tente de s’accrocher. Il faut dire que l’atmosphère de la pièce ne les change pas beaucoup de la leur. Quoiqu’il en soit, la mère va profiter de cette escapade pour passer l’arme à gauche. Consternation, voire complexe de culpabilité. Elles étaient là tous les soirs sauf celui-ci. Les cendres dans les bras, qu’en faire ? Le père est enterré quelque part dans le nord, elle réalise que depuis vingt-cinq ans elles l’ont oublié. Elles décident donc d’aller sur sa tombe afin de l’aviser de la mort de la mère. Le voyage initiatique de ces deux petites dames vers le nord en train, en autocar, à pied, ne se fera pas sans péripéties...
La pièce de Pierre Notte est une fantaisie drôle et légère. Ses héroïnes n’ont pas la noirceur tragique des personnages de Moi aussi je suis Catherine Deneuve (Lettre 257), ni la causticité des « petits barbares mondains » de Journalistes (Lettre 267). Il dépeint simplement un moment pénible dans l'existence de deux êtres simples, qui se retrouvent seuls devant le congé définitif du dernier des leurs et dont le cercle de famille se réduit à eux deux. Souvenirs, querelles et réflexions sur la vie sont la base du périple que les deux soeurs entreprennent en chansons vers la tombe de ce père trop vite oublié.
Assises dans leur fauteuil de théâtre, Catherine Salviat, Annette, et Christine Murillo, Bernadette, sont à leur affaire. Dès les premières secondes secondes nous savons qu’elles vont nous faire rire. Droite comme un « i » et les yeux écarquillés, Annette essaie de suivre la pièce pendant que Bernadette, l’œil morne, a depuis longtemps renoncé. Les chuchotements, les bris de papiers de bonbons sont l’exacte réplique de ce que le spectateur entend généralement lui-même dans une situation identique. Au fur et à mesure, il va s’apercevoir que la vie des sœurs ressemble à certains épisodes de la sienne tout bonnement parce que Pierre Notte, fin observateur du monde qui l’entoure, croque avec une formidable acuité les situations et les réflexions dont il est témoin.
Il y a pour exploiter le texte un véritable travail de groupe entre la mise en scène, la scénographie et les lumières. Cette formidable alchimie permet aux deux comédiennes de faire le spectacle. Elles s’emparent du dialogue de façon phénoménale, donnant de la voix, de l’expression et du geste avec une conviction sans faille, dansant et chantant avec un art consommé. Ce sont elles qui bougent les différents éléments du décor parfaitement étudié. Une caisse, véritable caverne d’Ali Baba, un pan de mur, un volant monté puis démonté, une boule lumineuse à facettes suggèrent avec dextérité, le théâtre, l’ascenseur de l’hôpital, la morgue et le cercueil, le crématorium, le train puis l’autocar, la boîte de nuit ou le cimetière. Soutenue par le travail très précis des lumières, la suggestion des multiples lieux est parfaite. Catherine Salviat, et Christine Murillo, loin des dorures de la Comédie-Française où elles ont été toutes deux sociétaires, s’y meuvent comme deux poissons dans l’eau pour notre plus grand plaisir. Théâtre Pépinière Opéra 2e.


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