DEUX HOMMES TOUT NUS
Article
publié dans la Lettre n° 373
du
27 octobre 2014
DEUX HOMMES TOUT NUS de Sébastien
Thiéry. Mise en scène Ladislas Chollat avec François Berléand, Isabelle
Gélinas, Sébastien Thiéry, Marie Parouty.
Un appartement cossu boulevard Haussmann. Au-delà de la terrasse
donnant sur l’avenue, on distingue grâce à une projection vidéo,
les fenêtres de l’immeuble d’en face et une silhouette qui se déplace
à l’étage. Clin d’œil d’une scénographie inventive, ce détail aura
son importance.
Alain Kramer, avocat réputé, est d’abord très surpris de se réveiller
non pas dans son lit mais couché dans le canapé-lit du salon, puis
sidéré de se voir entièrement nu à côté de quelqu’un qui dort dans
la même tenue. Mû par un ressort, il se lève, se drape d’un drap,
façon toge, secoue et invective l’intrus qui n’est autre que Nicolas
Prioux, son associé, avocat fiscaliste du cabinet. La première stupeur
passée, ils reprennent peu à peu leurs esprits pour essayer de comprendre
ce qu’ils font là, ensemble, en tenue d’Adam. Ils évoquent un dossier
difficile qui pourrait être la cause d’une mystification ou d’un
chantage. Kramer pense même… au vaudou! Tout en discutant, Nicolas
Prioux, totalement perturbé, cherche vainement ses vêtements lorsque
survient Catherine, la femme de Kramer. Ses questions sont légitimes
mais aucun des deux hommes n’en trouvent les réponses. Impossible
de se souvenir comment ils sont arrivés là et surtout ce qu’ils
ont fait ensemble. Tous deux jurent leurs grands dieux qu’aucun
penchant homosexuel ne les habite. La découverte d’un préservatif
dont l’usage récent ne fait aucun doute, outre le choc qu’elle leur
cause, les plonge dans le désarroi le plus complet ! Catherine lance
à Nicolas ses vêtements restés dans l’entrée. Il s’éclipse. Elle
fait sa valise. Le lendemain, le scénario se répète: les deux hommes
se réveillent de nouveau au même endroit et dans le même état. Quelques
jours plus tard, Catherine rentre au bercail, animée de meilleures
intentions. Pour elle, la solution doit se trouver dans l’agenda
de son mari. Beaucoup de rendez-vous de confrères, de déjeuners
ou de dîners et un nom qui attire son attention : Dominique Franck.
Mais Alain Kramer a beau réfléchir, il ne se souvient absolument
pas ni du repas, ni de la personne, pas même s’il s’agit d’un homme
ou d’une femme… Si le désir de convaincre l’entraîne dans une suite
de mensonges qui aggravent sa situation, ses recherches pour retrouver
Dominique Franck, la clé de l’énigme selon lui, vont le conduire
tout doucement vers un ahurissant constat.
Sébastien Thiéry est un auteur retors qui fait vivre à ses personnages
des situations telles qu’elles provoquent un impact identique chez
le spectateur qui les vit en même temps. Cette pièce-ci possède
une alchimie parfaite entre les deux faces du miroir : des situations
qui relèvent de la comédie la plus tordante qui soit et le drame
plus angoissant qui peu à peu se dévoile et révèle les pans cachés
de l’âme. La mise en scène attise subtilement le passage de l’un
à l’autre et ne laisse aucun répit aux comédiens. François Berléand,
magistral, occupe la scène d’un bout à l’autre, dépassé par ce qui
lui arrive et passant par tous les états, face à Sébastien Thiéry,
excellent dans le rôle d’un Nicolas Prioux scandalisé. Isabelle
Gélinas, d’un naturel absolu, est l’épouse, tout d’abord révoltée
par l’humiliation que lui inflige son mari, puis la femme encore
amoureuse qui cherche à comprendre ce qui arrive à ce conjoint avec
lequel elle partage tout depuis vingt-cinq ans.
Après plus d’une heure de fous rires incoercibles à la vue de tout
ce petit monde cherchant en vain une raison logique à ce qui lui
arrive, la comédie glisse doucement vers un épilogue déconcertant
qui prend tout son sens au moment où le zoom d’une caméra se focalise
sur l’immeuble d’en face et plonge sur la fenêtre, là où la silhouette
se déplaçait... Bigre ! Théâtre de la Madeleine 8e. Pour
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