DÉSIRÉ
Article
publié dans la Lettre n° 307
DÉSIRÉ de Sacha Guitry. Mise en scène
Serge Lipszyc avec Robin Renucci, Marianne Basler, Jean-Philippe
Puymartin, Marion Posta, Alycia, Jean-Christophe Barc, Nathalie
Krebs.
La cuisine de l’hôtel particulier parisien d’Odette Clery est le
lieu de tous les potins. Grâce à Adèle, la cuisinière, et Madeleine,
la femme de chambre, on apprend que Madame est la maîtresse de Félix
Montignac, ministre des P.T.T. et qu’elle « a lâché le théâtre pour
être Madame Montignac ». Quant à Félix Montignac, flatté d’avoir
une maîtresse aussi chic qu’élégante, il n’est pas pressé de l’épouser.
On y apprend aussi que les patrons ne sont ni indulgents ni sympathiques
et que le mépris qu’ils affichent pour leur personnel est réciproque.
Les domestiques savent tirer leur épingle du jeu. Ils ont cet avantage
appréciable : « nous savons chez qui nous entrons mais eux ne savent
pas qui ils prennent ». Cette réflexion édifiante sort de la bouche
de Désiré qui vient se présenter pour la place de valet de chambre,
vacante, depuis le renvoi du précédent, un peu trop porté sur les
cigares et les digestifs. Désiré tombe à pic car Odette part le
lendemain pour Deauville et il est hors de question pour Madeleine
et Adèle que Madame s’installe dans la grande villa sans le service
d’un valet de chambre. Si le dernier certificat de Désiré semble
satisfaire Odette, le coup de téléphone passé à l’ancienne patronne
la fait hésiter : il aurait eu un geste … Mais Désiré sait la convaincre
et le voici dans la place, sur ses gardes, cependant. Il n’est ni
voleur, ni indélicat mais, défaut irrépressible, il a tendance à
tomber amoureux de ses patronnes, ce qui, dans ce monde-là, est
inconcevable. Il rassure Odette et se rassure lui-même : elle n’est
pas son type de femme. Mais il va peu à peu changer d’avis au contact
de sa ravissante patronne.
Lorsqu’il crée Désiré en 1927 au Théâtre Edouard VII avec pour partenaires
Yvonne Printemps, sa deuxième femme, dans le rôle d’Odette, et Pauline
Carton dans celui de la cuisinière, Sacha Guitry a déjà écrit une
bonne trentaine de pièces. A quarante-deux ans, le regard qu’il
porte sur la société de son temps est aigu, les qualités et surtout
les défauts de ses contemporains n’ont plus de secret pour lui.
Il connaît aussi bien le monde des salons que celui des dépendances
et en brosse un portrait d’une formidable perspicacité. Désiré est
un merveilleux champ de bataille où il tire à coup de répliques
aussi drôles qu’assassines sur les mentalités et les comportements.
Il y a patron et patron, domestique et domestique. Si Odette et
Félix sont les patrons typiques, abusant de leurs caprices ou de
leur autorité : « comme c’est facile d’être injuste », Désiré est
un modèle du genre, amoureux de son métier et ayant la dent dure
envers ceux qui le font mal. « Je n’aime pas que vous vous moquiez
de vos patrons […] si vous faisiez mieux votre métier, vous l’aimeriez
davantage ». Au moment de quitter la place, lorsque Désiré se risque
à ôter de l’esprit d’Odette toute envie de mariage, c’est le propre
regard de l’auteur sur le mariage qu’il traduit et lorsque Désiré
parle d’Odette, c’est l’amour que porte ce même auteur aux femmes
qui transparaît. Si Sacha Guitry adorait les femmes, il en a épousé
six, c’est le mariage qui pour lui gâchait tout. Le jeu de la séduction
avait sans doute plus de charme que le quotidien à deux.
Serge Lipszyc a l’heureuse idée de replacer la pièce dans les années
50. Cela lui permet de la rapprocher de notre époque tout en laissant
une distance suffisante pour que les répliques à la troisième personne
gardent leur charme sans être désuètes. Il se dégage aussi de ce
parti pris une certaine nostalgie reflétée par le décor très réaliste
des années 50 de la cuisine et celui fort joli et plus art déco
du salon deauvillois. Sa mise en scène met bien en relief la gravité
légère des propos. Les comédiens sont excellents. Robin Renucci
est un Désiré tout en nuances, Marianne Basler une Odette charmante,
voire craquante dans ses somptueux atours, Jean-Philippe Puymartin,
un Félix remarquable, Marion Posta une femme de chambre plus vraie
que nature et Alycia une cuisinière qui n’a rien a envier à une
Pauline Carton pourtant mémorable. Jean-Christophe Barc et Nathalie
Krebs s’unissent à eux pour la fameuse scène du dîner attendue avec
impatience par ceux qui connaissent bien la pièce. Loin de décevoir,
ils répondent haut la main à leur attente. Grâce à un auteur d’exception
et à leurs talents conjugués, ils nous font vivre là un moment délicieux.
Théâtre de la Michodière 2e.
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