LE DESARROI DE M. PETER

Article publié dans la Lettre n° 205


LE DESARROI DE M. PETER de Arthur Miller. Adaptation française Isi Beller. Mise en scène Jorge Lavelli avec Michel Aumont, Gérard Lartigau, Evelyne Dandry, Joan Titus, Patricia Franchino, Ramata Koite, Fred Cacheux, Pierre-Alain Chapuis.
Le nom d’Arthur Miller est naturellement associé à son oeuvre majeure, Mort d’un commis voyageur. Sa carrière théâtrale longue et abondante lui a permis d’observer, entre autres, la condition sociale de la petite bourgeoisie, ou encore les méfaits du maccartisme. Mais, cet homme de théâtre est aussi scénariste, écrivain de reportages et romancier. Cette carrière complète lui a permis d’embrasser d’un regard sûr son époque et les hommes qui en ont fait partie. Avec cette nouvelle création, il emporte son public dans l’univers intime d’un personnage, M. Peters.
M. Peters se trouve dans cet état vaporeux, proche de l’endormissement, où l’esprit en s’évadant, mêle les souvenirs et le présent, où les vivants côtoient les disparus. Si Charlotte, sa femme, est bien vivante, tout comme Rose, dont on finira par apprendre qu’elle est sa fille, ou Leo son petit ami, Calvin en revanche, qui s’avérera être son frère, Cathy-May, la jeune femme qu’il a aimée, ou Adèle la femme noire, ont depuis longtemps rejoint l’autre monde, ou font partie de ses fantasmes, comme le mari hypothétique de Cathy-May. M. Peter est au soir de sa vie. Mais peu importe qu’elle fût heureuse. Ce qui le hante aujourd’hui, c’est une question fondamentale. Il voudrait « connaître le sujet de toute cette affaire ». Au moment où il glisse dans cet endormissement où le temps semble suspendu, les personnages qui l’ont côtoyé ou le côtoient encore surgissent, leur conversation, les sentiments fondamentaux qui l'attachent à eux et plus particulièrement à sa fille lui permettront de suggérer une réponse à cette question qui le jette dans le plus grand désarroi.
L’écriture de cette pièce, la description d’une précision presque clinique de l’état et des sentiments de son héros laissent à penser qu’Arthur Miller a lui-même vécu semblable expérience. L’adaptation qu’a réalisée Isi Beller est en tout point remarquable, mais sa formation de médecin psychanalyste et l’amitié que partagent les deux hommes y sont sans doute pour beaucoup. Pour une pièce aussi complexe, la mise en scène et l’interprétation sont fondamentales. Ici entrent en jeu deux hommes d’exception, Jorge Lavelli et Michel Aumont. La mise en scène extrêmement mobile et resserrée de l’un, l’éblouissante interprétation de l’autre recréent de façon extraordinaire la torpeur, l’angoisse et l’émotion ressenties par le personnage principal, assisté par un jeu de lumières très précis et l’excellente interprétation des autres comédiens, Gérard Lartigau en particulier. A chaque apparition sur scène, le talent de Michel Aumont séduit et étonne. Mais ici, même si l’on cherche à peser ses mots, il est phénoménal. La façon de se mouvoir, ses gestes les plus anodins, les expressions du visage, l’inflexion de sa voix sont d’une telle perfection que le spectateur se sent concerné par ce désarroi palpable et envahi par l’émotion. On reste transporté, subjugué, comme on l’est rarement au théâtre. Théâtre de L’Atelier 18e (Lettre 205).


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