DES GENS

Article publié dans la Lettre n° 288


DES GENS d’après Urgences & Faits divers de Raymond Depardon. Adaptation et mise en scène Zabou Breitman avec Zabou Breitman, Laurent Lafitte. Espace, lumière, Pierre Nouvel.
Beaucoup gardent en mémoire les documentaires de Raymond Depardon où, caméra à l’épaule, il filma sur le vif des entretiens entre patients et médecins ou entre patients, policiers et juges, lors d’internements ou d’arrestations. Détresse d’un monde inconnu que l’on côtoie pourtant chaque jour en marchant dans les rues. De ces univers parallèles, Zabou Breitman en a gardé un souvenir lancinant qui l’a poussée à mettre en scène ces dialogues poignants de gens comme tout le monde qui ont pourtant franchi la frontière ténue entre la vie normale et celle anormale de la détresse. Un homme, chauffeur de son état, qui tout à coup arrête son bus en pleine rue, ne pouvant aller plus loin. Un autre qui a vécu avec sa mère et qui, devenu insomniaque depuis la mort de celle-ci, veut en finir, ou encore celui qui, incapable d’aligner deux phrases, ne profère que des injures. C’est aussi cette femme au foyer désespérée qui ne parvient plus à faire ses taches ménagères. Cette autre qui veut récupérer son gosse dont elle n’a plus la garde. Celle enfin qui casse les vitrines pour exprimer sa rage…
Les images projetées et l’ambiance sonore suggèrent habilement les lieux et les bruits de rue et de couloir. La mise en scène, avec ses changements de décor facilités par les quelques meubles et accessoires et la présence d’un grand cube blanc, bureau ou cabinet, nous embarquent dans ce monde hallucinant, fréquenté quotidiennement par des équipes de médecins ou de policiers. Ils vont et viennent avec détachement, interrogent, conversent, essaient de comprendre mais renoncent parfois, puis signent rapports ou formulaires, et orientent les uns et les autres vers d’autres lieux, terminus d’une vie gâchée. Incarnant tous les personnages, Zabou Breitman et Laurent Lafitte alternent pauvres hères, psychiatres ou policiers, modulant leur voix, leur accent et leur aspect selon le rôle. A la fois pathétiques et drôles, ils rendent si proches tous ces gens que l’on se prend à penser qu’il faudrait en fin de compte peu de choses pour que, nous aussi, nous basculions dans ce monde-là. Petit Montparnasse 14e.


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