DES GENS BIEN

Article publié dans la Lettre n° 379
du 2 mars 2015


DES GENS BIEN de David Lindsay-Abaire. Adaptation Gérald Aubert. Mise en scène Anne Bourgeois avec Miou-Miou, Patrick Catalifo, Brigitte Catillon, Isabelle de Botton, Aïssa Maïga, Julien Personnaz.
Ce n’est pas de gaîté de cœur que Stevie annonce à Margaret qu’elle vient d’être licenciée. Chef de la supérette discount du quartier sud de Boston, il ne fait qu’exécuter l’ordre du directeur régional. Margaret est une amie d’enfance de sa mère. Tout le monde se connaît dans ce quartier pauvre où chacun se bat pour faire vivre sa famille et dont le seul plaisir reste le bingo du vendredi. Ce n’est pas son premier renvoi mais cette fois, Margaret est effondrée. Elle sait qu’à son âge, retrouver du travail est pratiquement impossible. Mère célibataire, elle a lutté seule pour élever Joyce, sa fille handicapée. « C’est pas une vie, la vie, quand même ! », commente Dottie qui lui loue un petit appartement et lui garde sa fille. Alors que sa logeuse s’inquiète de savoir comment Margaret lui paiera son loyer, Jean, la copine de toujours, grande gueule au grand cœur, lui conseille d’aller demander de l’aide à Mike, le premier amour de Margaret, devenu un médecin reconnu. N’ayant pas d’autre choix, Margaret sollicite un rendez-vous au cabinet de Mike. La rencontre est un peu tendue. En jetant un coup d’œil sur la traditionnelle photo de famille qui trône sur le bureau, Margaret note qu’il a épousé une très jolie jeune femme noire. Elle s’invite plus qu’il ne l’invite à la fête d’anniversaire que sa femme Kate organise pour lui. À quelques heures de la soirée, Mike prévient Margaret que la fête est annulée, sa fille étant malade. Elle ne croit pas à cette excuse et se présente chez le couple. Kate la reçoit avec bienveillance et l’invite à s’asseoir, lui confirmant la maladie de la petite. La gêne de Mike et le franc-parler de Margaret vont être les détonateurs d’une violente passe d’armes que Kate tente tout d’abord de tempérer puis à laquelle elle se voit obligée de prendre part.
Avant même les premières répliques, le rideau de scène ne laisse aucune équivoque sur l’esprit qui se dégage de la pièce. Boston et sa banlieue, avec le dollar comme ligne de démarcation: d’un côté un quartier riche, de l’autre un quartier pauvre. Mike est le lien entre ces deux mondes. Son « irrésistible ascension » sociale accuse encore la fracture, même s’il se donne bonne conscience en participant activement à une œuvre charitable. Mike a donné à sa femme une image mensongère de son enfance. Margaret rétablit la vérité sans ménagement. Face à cette société aisée qu’il représente dans laquelle Kate, de par ses origines, a elle-même du mal à trouver sa place, malgré son enfance bourgeoise, se trouve le camp de Margaret, celui des pauvres. Le geste solidaire de Stevie, à la fin, vient comme un rayon de soleil dans la lutte quotidienne menée par des femmes qui partagent « le même bateau qui coule ».
La pièce de David Lindsay-Abaire est une radiographie très précise des sentiments humains dans lequel le public français peut se reconnaître, grâce au travail d’adaptation, même si le regard très étasunien de l’auteur ne correspond pas toujours au sien. Les comédiens ne jouent pas mais vivent littéralement leur rôle, une aisance à laquelle le talent de directrice d’acteurs d’Anne Bourgeois n’est pas étranger. Le temps n’a pas de prise sur Miou-Miou dont la silhouette reste juvénile. Elle possède ce don inné d’être sur scène comme on l’imagine être dans la vie. Elle s’approprie l’existence de Margaret, entre humour corrosif et révolte, comme s’il s’agissait de la sienne. Théâtre Hébertot 17e.


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