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DERNIERS REMORDS AVANT L'OUBLI »
Article
publié exclusivement sur Internet
entre les Lettres n° 317 et n° 318
DERNIERS REMORDS AVANT L'OUBLI de
Jean-Luc Lagarce. Mise en scène Julie Deliquet avec Julie Anglade,
Gwendal Anglade, Serge Biavan, Olivier Faliez, Agnès Ramy, Julie
Jacovella.
Une maison passablement délabrée accueille ce qui ressemble à des
retrouvailles familiales. Chez Pierre, l'hôte solitaire, Hélène
arrive accompagnée de son mari Antoine et de leur fille Lise, Paul
a amené son épouse Anne. L'objet du rendez-vous s'avère être la
négociation autour de la vente éventuelle de la maison. Quelques
gracieusetés conventionnelles laissent vite place à des échanges
plutôt vifs qui font prendre la mesure d'un contentieux affectif
entre les trois personnages centraux. Hélène agresse Pierre, tout
en cherchant l'acquiescement de Paul, qui se réfugie dans une apparente
neutralité. Et on comprend qu'ils ont vécu, il y a longtemps dans
cette maison, une sorte de trio à la Jules et Jim, avant
qu'Hélène et Paul ne quittent Pierre le taciturne qui n'a
pas refait sa vie. La négociation est prétexte à solder des comptes
affectifs beaucoup plus que financiers. L'argent ne saurait évacuer
les remords…
Témoins de cette lessive des sentiments, les collatéraux réagissent
selon leur tempérament ou le rôle qu'on leur a assigné. Anne, au
sourire fragile et crispé, fait des efforts répétitifs de sociabilité,
mais elle a conscience qu'elle n'a peut-être été, au long de ces
années, que l'ersatz d'une Hélène omniprésente dans l'album de photos
mentales de Paul. Antoine, le n°3 d'Hélène, inoxydable dans sa forfanterie
caricaturale de vendeur de voitures, est-il vraiment sourd aux ricanements
condescendants de ses ex-rivaux ? Les libations du pique-nique improvisé
sont un bon palliatif… Quant à Lise, elle a la franchise d'une adolescente
venue là en spectatrice, mais vite exaspérée par la mauvaise foi
et la veulerie de ces adultes peu reluisants. Après la fallacieuse
accalmie des agapes, tout volera en éclats. Et le regard matois
et cyniquement satisfait de Pierre accompagnera les derniers départs
en fanfare coléreuse.
Les acteurs donnent cœur et corps à ces tranches de vie entrevues.
Serge Biavan (Pierre), blessé et cynique, occupe ce terrain de la
mémoire que Julie Anglade (Hélène), à fleur de peau,
a semé des chausse-trappes de sa mauvaise foi et de sa frustration
patente. Gwendal Anglade (Paul) reste dans une fausse neutralité
un peu lâche, sans égards pour son épouse Anne (Agnès Ramy), au
bord de larmes qu'elle finira par répandre avec acrimonie. Seul
le mari hâbleur, Antoine (Olivier Faliez) sème les rires par son
inculture revendiquée. Et la fille Lise (Julie Javovella) a la santé
sans hypocrisie de l'adolescence.
Dépouillement extrême du décor pour une mise à nu des cicatrices
et des remords, brutalité à grand peine contenue des élans vengeurs,
ce huis clos nous prend en otages tout à fait consentants et nous
laisse en bouche, au-delà des brefs rires incoercibles, l'amertume
des passés insolubles et des présents viciés. Théâtre Mouffetard
5e. A.D.
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