LES DERNIERS JOURS DE STEFAN ZWEIG
Article
publié dans la Lettre n° 346
du
19 novembre 2012
LES DERNIERS JOURS DE STEFAN ZWEIG
de Laurent Seksik. Mise en scène Gérard Gelas avec Patrick Timsit,
Elsa Zylberstein, Jacky Nercessian, Bernadette Rollin, Gyselle Soares.
Ils ont trouvé refuge au Brésil. Bien sûr, Petrópolis n’est pas
Rio. La montagne et le silence entourent un peu trop cette maison
qu’ils ont louée pour six mois, trop, au goût de Lotte, qui se retrouve
là, sans famille, sans amis. Elle souhaiterait avoir un enfant mais
pour Stefan, il n’en est pas question. Ce serait « donner le
jour au milieu des ténèbres ». Inutile d’insister auprès d’un
mari dont elle est très amoureuse. Ici, une nouvelle vie commence.
Elle fait des projets, celui d’aller à Rio pour le carnaval, ou
en Autriche. Ne serait-ce pas merveilleux de se promener en calèche
sur le Ring, de monter les marches du palais, de respirer les odeurs
de Salzbourg ? Mais ces odeurs-là ont pénétré les livres que Stefan
a apportés, le cuir les a toutes absorbées, jusqu’au cigare de Freud.
Stefan, lui, a retrouvé Ernest Feder. Cet ami de longue date vient
lui rendre visite en voisin, le secoue en plaisantant ou le sermonne.
Madame Ban Field, la propriétaire, toute émoustillée d’avoir un
locataire aussi illustre, fait quelques apparitions. « Au Brésil,
chacun a un livre de vous dans sa bibliothèque », lui confie-t-elle
fièrement, même si, en son for intérieur, elle méprise les juifs.
Les mois s’écoulent, bercés par la musique, mais rien ne fait sortir
Stefan de la dépression dans laquelle il s’enfonce chaque jour davantage.
Il ne parvient plus à écrire, il ne dort plus. Durant les nuits
sans sommeil, ses disparus lui apparaissent et lui parlent. Son
humeur oscille entre les nouvelles qu’il reçoit. Celle de l’entrée
en guerre des Etats-Unis est balayée par l’annonce de l’extermination
des juifs de toutes les villes d’Allemagne. Ernest Feder lui rappelle
simplement que lui a tout perdu, travail, amis, famille, que sa
fille est restée là-bas avec son mari au lieu de quitter le pays
quand il en était encore temps. Stefan ne se pardonne pas d’être
parti en 1934, d’avoir été « le premier des fuyards ». Il
ne se pardonne pas d’avoir abandonné sa mère : « Je serai toujours
coupable de ne pas avoir fermé vos paupières ».
Février et son carnaval apporte à Lotte un bonheur fugace. Ce sera
le dernier. Lorsque Singapour tombe, Stefan considère que la guerre
est perdue. Selon lui, l’Allemagne envahira l’Angleterre puis viendra
les dénicher et les exterminer tous. « Cela fait dix ans que
j’erre sur tous les continents…moi je suis du bois dont on fait
les cendres ». Lotte abdique. Elle ne veut pas continuer de
vivre sans celui qu’elle aime. Elle le suivra donc dans la mort.
Laurent Seksik a adapté pour le théâtre son célèbre et très beau
roman. Il relate ce que furent les derniers mois du couple mythique
plongé dans une tempête dont il refuse de subir les ravages. Gérard
Gelas choisit la sobriété pour mettre en scène Patrick Timsit et
Elsa Zylberstein qui incarnent avec beaucoup de nuances cet homme
et cette femme se tenant amoureusement la main lors du grand passage
vers l’autre monde, où les attend une immense clarté. Théâtre
Antoine 10e. Pour
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