LA
DERNIERE NUIT POUR MARIE STUART
Article
publié dans la Lettre n° 262
LA DERNIERE NUIT POUR MARIE STUART de
Wolfgang Hildesheimer. Mise en scène Didier Long avec Isabelle Adjani,
Jacques Zabor, Jean-Yves Chatelais, Bernard Waver, Patrick Rocca,
Anne Suarez, André Chaumeau, Remi Bichet, Joséphine Fresson, François
Raffenaud, Axel Kiener, Raphaël Poulain.
Le décor suggère à la perfection ce qui va se dérouler: une vaste
salle de prison aux murs épais et glacés dont la couleur sombre
est rehaussée par deux autres, le rouge du sang qui va être versé,
et le noir de l’âme de ceux qui ont enfermé là la reine blanche.
Au fond, on devine un tunnel vers une liberté dont elle est privée
depuis bientôt vingt ans et tout en haut, luit une lune énorme,
miroir blafard d’une vie. «La lune est encore pleine, l’aube
sera bonne», affirme John Bull, le bourreau, en passant un regard
de connaisseur sur les lieux de l’exécution. Le billot a « trop
de velours », il faut penser à tout... Il a aussi soigneusement
affûté sa hache. On lui a offert beaucoup d’or contre cet instrument
qu’il faudra remettre, souillé du sang de l’exécutée, à celui qui
l’a achetée. « Vous n’aurez pas à vous en plaindre », assure-t-il
à Marie quand, à sa demande, il la lui tend. Ce n’est pas dans les
règles mais il peut faire une exception car c’est son dernier office.
Après quoi, il passera la main, mais sûrement pas à son aide. Petit
Jean est muet. Il ne pourrait crier la phrase rituelle au nom d’Elisabeth
sa souveraine, en brandissant la tête tranchée. Dans cette première
et grande demi-heure, Patrick Rocca est époustouflant, mariant le
perfectionnisme que lui impose son «art» à l’irrespect que lui confère
sa position.
Wolfgang Hildesheimer a choisi de retracer en temps réel les deux
dernières heures de la condamnée, imaginant ses derniers actes et
ses derniers mots. Si sa pièce suggère le parcours de la vie de
la très catholique reine Marie Stuart, il ne s’attarde pas sur les
tractations politiques et les complots qui auront éclaboussé son
règne, encore moins sur ses relations avec son intraitable cousine
Elisabeth. Née reine d’Ecosse, son grand-père était le fils du roi
Henry VII d’Angleterre, son père James V d’Ecosse. Marie, devenue
reine de France et catholique de par son premier mariage avec le
falot François II, fils d’Henri II, n’accompagnera le destin de
celui-ci que quelques mois. Veuve et rendue à sa patrie d’origine
par une Catherine de Médicis très pressée de s’en débarrasser, deux
autres époux partageront sa vie, dont Henry Darnley à qui elle donnera
un fils. Ce n’est pas ce parcours mais le chant du cygne qui intéresse
Wolfgang Hildesheimer, celui de la reine blanche, blanche
mariée de seize ans, qui prit le deuil en blanc et dont le sang,
vingt-neuf ans plus tard, va souiller ses blancs atours. Sa sortie
sera digne, faite d’introspection et de renoncement. Elle partira
l’âme en paix.
Didier Long suit à la lettre ce cérémonial, mettant remarquablement
en scène, tant les détails macabres de l’exécution que le ballet
sordide de l’entourage de Marie. C’est ici aussi que se joue la
réussite de la pièce, dans les interventions de tous les comédiens.
Ils sont excellents, dames de compagnie, confidents, domestiques
et médecins dont le plaisir d’humilier, aussi vil que fugace, émousse
le respect. Ils sont d’ailleurs davantage préoccupés par l’argent
et leur avenir que par le dernier souffle de celle qu’ils ont accompagnée
durant ces presque deux décennies où, prisonnière, elle n’était
plus rien. Chacun joue remarquablement sa partie, secondant Isabelle
Adjani dans un rôle écrasant. Elle doit trouver en elle tout ce
qui fait une grande tragédienne, savoir doser gestes et mots afin
d’en faire assez mais de ne pas en faire trop. En cela elle est
passée maître et remplit parfaitement son contrat. Restent ceux
qui se pressent à la fin pour assister à la mise à mort, foule compacte,
toutes origines sociales confondues, aimante ou haineuse, avide
de sang et d’émotions fortes, parfaitement suggérée par la mise
en scène. Parmi eux, nous spectateurs, également témoins de l’ultime
instant. Théâtre Marigny 8e.
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