LA DERNIÈRE BANDE

Article publié dans la Lettre n° 344
du 8 octobre 2012


LA DERNIÈRE BANDE de Samuel Beckett. Mise en scène Alain Françon. Scénographie et costumes Jacques Gabel. Lumières Joël Hourbeigt. Son Daniel Deshays. Avec Serge Merlin.
Krapp va et vient dans sa turne, ses vêtements étriqués et sales, le visage fatigué et mal rasé, coiffé à la diable. L’homme, à la démarche hésitante, s’approche d’une table, ouvre un tiroir, en sort une banane qu’il épluche consciencieusement avant de l’avaler, jette la peau, glisse dessus, en mange une seconde. Il s’assied, se lève, va chercher un magnétophone, puis une série de boîtes dans lesquelles il a conservé des bandes. Il consulte un registre qu’il a aussi apporté et fouille : boîte trois, bobine cinq. Il ponctue tous ses gestes de mots ou d’onomatopées divers, installe maladroitement la bobine choisie, branche l’appareil et se met à écouter, les coudes sur la table, la main en cornet. Il interrompt plusieurs fois son écoute, fait tomber les boîtes, prend un dictionnaire, farfouille dans ses poches. Il jure, commente ses gestes, puis reprend son audition, ramenant la bande en arrière ou la faisant avancer, et finit par débrancher l’appareil. Puis il le rebranche, place une bande vierge, sort une enveloppe de sa poche, et, cette fois, enregistre le bilan détaillé de son état et de ses actes, comme il a coutume de le faire chaque année, le jour de son anniversaire. « Viens d’écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’aie jamais été con à ce point-là ». Il s’interrompt soudain, replace la bobine cinq pour réécouter le rappel trentenaire d’un « fulgurant moment de bonheur ». Le vieil homme d’aujourd’hui interpelle alors le Krapp d’hier.
Les didascalies du début, longues et cliniquement précises, Samuel Beckett les suivait ou les biffait. Après lui, les metteurs en scène successifs ont fait de même, respectant ou modifiant ses indications. L’intérêt de cette œuvre ne réside pas tant dans son écriture et son sens, appéciés ou non, mais dans la façon de la mettre en scène et de l’interpréter. Grâce au travail ardu effectué sur le son, Serge Merlin, bien dirigé, en offre ici une interprétation saisissante. Théâtre de l’Œuvre 9e.


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