DÉMOCRATIE
Article
publié dans la Lettre n° 343
du
24 septembre 2012
DÉMOCRATIE de Michael Frayn. Version
française Dominique Hollier. Mise en scène Jean-Claude Idée avec
Jean-Pierre Bouvier, Xavier Campion, Emmanuel Dechartre, Alain Eloy,
Jean-François Guilliet, Frédéric Lepers, Frédéric Nyssen, Freddy
Sickx, François Sikivie, Alexandre von Sivers.
L’histoire de l’Allemagne après la Seconde Guerre Mondiale est le
pivot de celle de l’Europe. Après sa défaite en 1945, le pays ravagé
est partagé entre les puissances occidentales et l’Union Soviétique,
le laissant désuni et sa population exsangue. La construction du
mur de Berlin en 1962 est le symbole de la guerre froide entre les
puissances de l’Ouest et de l’Est. La politique de l’Allemagne a
été conduite par des hommes qui ont œuvré à son redressement puis
à sa réunification. Un parcours aussi herculéen qu’exemplaire. Les
années entre les mains du chancelier Willy Brandt est le sujet de
la pièce. A mesure que celles-ci se déroulent, la vie et le parcours
de cet homme important pour le destin des deux Allemagnes se dessine.
En 1969, accédant à la chancellerie de la République fédérale d’Allemagne,
il instaure une politique destinée à améliorer les relations entre
l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est. Un homme ordinaire
apparaît alors. Il s’agit de Günter Guillaume. Après avoir gravi
rapidement les échelons, il se retrouve aux côtés du chancelier,
a accès à tous les secrets en tant qu’assistant personnel. La Stasi
l’a, en fait, envoyé en mission d’espionnage. Personne ne semble
s’inquiéter de la présence de ce personnage discret qui se rend
indispensable, même si Willy Brandt demande à plusieurs reprises,
mais sans insister, qu’on l’en débarrasse. Une curieuse relation
se tisse entre eux, l’un en proie à la solitude que confère toujours
le pouvoir, l’autre partagé entre son admiration pour la politique
pacifiste de Brandt et sa loyauté envers son pays. Günter Guillaume
reste quatre ans auprès de Willy Brandt avant d’être démasqué, les
« compagnons » de Brandt décidant de remplacer ce dernier. Durant
ce laps de temps, Guillaume renseigne la R.D.A sur la politique
menée, les différentes décisions prises, mais aussi sur les faiblesses
de l’homme qu’il espionne, l’alcool, les femmes et un état dépressif
récurrent, diplomatiquement baptisé par son entourage « refroidissement
accompagné de fièvre ».
Michael Frayn, très documenté, revient sur cette période de l’histoire
que la traduction de Dominique Hollier restitue avec pertinence.
Il choisit d’insister sur les rouages de la démocratie, si fragile
alors, sur ses réussites et ses errances. L’homme de contradiction
qu’est Brandt alimente le suspense. Comme tout idéaliste, il fait
des erreurs. Souvent indécis ou absent, il cherche les compromis.
Il reste pourtant l’artisan des prémices de la réunification, convaincu
que le socialisme mettrait fin aux disparités entre le Nord et le
Sud, entre l’Est et l’Ouest. Son action lui vaut le Prix Nobel de
la Paix en 1971.
Dès la première minute, les comédiens sont dix sur une scène qu’ils
ne quitteront pratiquement pas. Les dix acteurs de cette période
retracent ensemble, grâce à des dialogues percutants, le destin
d’une nation entre 1969 et 1974. Autour du chancelier Willy Brandt,
son garde du corps, le chef de la sécurité du territoire, les membres
du parti ou le responsable de son bon fonctionnement, le chef du
bureau de Brandt, deux ministres de son gouvernement, le supérieur
hiérarchique de Guillaume et, face à eux, Günter Guillaume, l’espion
qui rend compte de sa mission au seul personnage fictif, Arna Kretschmann.
Cette mise en scène originale et très efficace de Jean-Claude Idée
rend le récit étonnamment vivant. La distribution est un coup de
maître. Tous jouent leur rôle à la perfection, parfois assis en
retrait ou tournant le dos lorsqu’ils ne prennent pas part aux dialogues.
Une pièce passionnante, magistralement menée. Théâtre 14 14e.
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