DEMAIN IL FERA JOUR
Article
publié dans la Lettre n° 354
du
6 mai 2013
DEMAIN IL FERA JOUR de Henry de Montherlant.
Mise en scène Michel Fau avec Léa Drucker, Michel Fau, Loïc Mobihan,
Roman Girelli.
« Vous savez bien me trouver quand vous avez la moindre difficulté…
C’est moi qui toujours dois venir à votre secours dans les petites
choses ». / « Parce que vous n’êtes capable que de celles-là ».
Cette réplique lapidaire, réponse au reproche émis par Marie, est
l’une des nombreuses que Georges Carrion va lui décocher. Avocat
à Cannes, en zone libre, il a tout de même rejoint à Paris, son
fils naturel Gillou, et Marie, la mère de celui-ci, partie vivre
au Havre avec un autre homme et aujourd’hui revenue. Or, « monter
à Paris, c’était monter au front ». L’enfant de 14 ans de ses
souvenirs, est devenu un jeune homme de 17 ans, pressé de s’engager
dans la Résistance, mais pas sans l’accord de son père. Georges
n’aime pas son fils et ne s’en cache pas. Il s’oppose cependant
à ce projet, donnant à Marie toutes sortes de raisons : « Je
ne veux pas qu’il se mette de la Résistance…Ce n’est pas au moment
où les Américains viennent de débarquer en Normandie, qu’on se met
de la Résistance. Il fallait faire cela plus tôt. ». Gillou
obéit à contrecœur. Marie est soulagée de voir ce fils unique qu’elle
adore renoncer à son idée folle. Mais la capitale, bientôt libérée,
devient un lieu menaçant. Georges qui a entretenu des relations
avec les allemands, craint d’avoir des ennuis. La réception d’une
lettre de menace conforte ce pressentiment. Il lève alors l’interdiction,
se « protégeant » ainsi derrière ce fils qu’il méprise, tout en
sachant qu’il le sacrifie.
Cette pièce, créée en 1949, est une suite de Fils de personne,
écrite en 1943. Pour l’auteur, elle en est « l’acte final ». Les
deux pièces furent données ensemble lors de la création de Demain
il fera jour au Théâtre Hébertot.
Cinq ans seulement se sont écoulés lorsque Henry de Montherlant
dépeint avec rudesse une société laminée par la guerre, où règnent
lâcheté et veulerie, où collaboration et épuration vont tout à coup
se « tutoyer ». Son coup de plume sur les résistants de la dernière
heure est tout aussi incisif. Il illustre de nouveau l’adoration
d’une mère pour un fils qui peine à répondre à la force de cet amour,
thème de l’Exil, sa première pièce, écrite à 19 ans, une
relation sans doute vécue: « Ma mère m’aimait extrêmement; je
ne le lui ai pas rendu en proportion ».
S’il s’attachait peu à la mise en scène, Henry de Montherlant était
en revanche très sourcilleux sur l’interprétation et l’on se prend
à imaginer combien Suzanne Dantès, qui créa le rôle de Marie, dut
travailler le fameux « misérable » final !
Michel Fau insiste beaucoup sur ce point. Les dialogues âpres et
la noirceur du personnage lui en offrent maintes occasions. Ce texte,
il le mâche, le triture et le crache littéralement. Sa mise en scène
très expressionniste (l’ombre immense de Carrion à la fin fait penser
à celle de Nosferatu de F.W. Murnau), est celle d’une vraie tragédie
grecque. Dans sa longue robe rouge au plissé antique, Léa Drucker
est une Marie impressionnante, exprimant avec aisance la multiplicité
des sentiments qui animent cette femme et mère pétrie de douleur.
Loïc Mobihan, Gillou assez proche du jeune Philippe de Presles,
le personnage idéaliste de « l’Exil », représente avec une belle
spontanéité la jeunesse telle que Montherlant la ressentait. Un
travail tout à fait remarquable qu’il aurait certainement apprécié.
Théâtre de l’Œuvre 9e.
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