DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre390 du 21 décembre 2015,
puis dans la Lettre n°391
du 18 janvier 2016


DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES de Paul Zindel. Mise en scène Isabelle Carré avec Isabelle Carré, Alice Isaaz, Lily Taïeb ou Armande Boulanger.
« Dis-moi quel lieu tu hantes, je te dirai qui tu es… » serait un adage parfait pour décrire l’état d’esprit de Béatrice, femme abandonnée par son mari, puis veuve, élevant seule ses deux filles. La pièce à vivre est un vrai champ de bataille où la pauvreté est maladroitement occultée par le ton rouge vif de quelques meubles. Là se tapit la détresse de ses occupantes. Déprimants ces vêtements éparpillés partout, ces bouteilles et ces journaux jonchant le sol, ce papier peint fané à moitié décollé, cette fenêtre en partie bouchée par du papier. Au centre de la salle, un divan occupé par une mère que Ruth, l’aînée de 17 ans, finit par réveiller à coup de pieds pendant que Mathilda, la cadette de 13 ans, apporte, imperturbable, quelques annotations à son cahier de cours, déjà prête à partir pour le collège. Passionnée par les sciences, elle étudie l’effet de la radioactivité sur les végétaux. Adolescente introvertie, elle fait tache à la maison mais aussi au collège où sa sœur la dit victime de moqueries. Secrétaire dans l’établissement, Ruth, plus rebelle, impose davantage sa volonté. Béatrice oscille, quant à elle, entre un abattement dépressif et une agressivité quasi hystérique, proférant des horreurs que ses filles encaissent différemment. Rien ne s’immisce dans cette vie quotidienne, hormis la présence d’une vieille femme que Béatrice garde pour quelques dollars et les appels téléphoniques du collège qui incitent la mère à envoyer Mathilda en cours, Béatrice invoquant toujours une bonne raison pour garder à la maison la cadette trop passionnée à son goût par ses études scientifiques.
Cette pièce créée en 1964 valut à son auteur le prix Pullizer pour le théâtre puis la notoriété en 1971 grâce au film de Paul Newman. Replacer l’action dans les années 70 lui permettait d’exposer les problèmes de toutes sortes qui secouaient l’Amérique dans ces années-là, avec des personnages et des lieux multiples que la mise en scène d’Isabelle Carré ne peut reproduire. L’action qu’elle situe à la même époque se résume à un huis clos étouffant où deux adolescentes affrontent, selon leur caractère, une mère insupportable. Les trois comédiennes expriment avec beaucoup de nuances les sentiments de leurs personnages. Isabelle Carré est excellente dans le rôle de Béatrice, quadragénaire immature, nostalgique d’un destin qu’elle se promettait faste et qui ne l’a pas été, méchante parce qu’elle ne voit pas d’issue à sa situation, malgré son rêve d’ouvrir un salon de thé. Alice Isaaz relève bien le tempérament extraverti et les sentiments contradictoires qui agitent le personnage de Ruth. Armande Boulanger est, ce soir-là, une Mathilda lumineuse, jouant à la perfection l’adolescente portée par une passion que rien ne peut ternir, hors d’atteinte des brimades de sa mère, des moqueries de ses camarades. Rayon de soleil dans ce désastre quotidien, son émerveillement final est un hymne à l’espoir en l’avenir. Théâtre de l’Atelier 18e.


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