DAVID & EDWARD

Article publié dans la Lettre n° 308


DAVID & EDWARD de Lionel Goldstein. Traduction Eliane Rosilio. Mise en scène Marcel Bluwal avec Michel Aumont, Michel Duchaussoy.
Enfin un moment d’intimité ! C’est ce que recherchait vainement David que ses enfants n’ont pas lâché d’une semelle depuis le décès de Flo. Cinquante années de mariage qui s’achèvent devant la fosse encore béante où repose le cercueil. La pluie a cessé. L’arbre aux fleurs roses est le seul ornement de la tombe qui, elle, ne sera jamais fleurie comme le veut la tradition. Un homme pourtant s’approche avec un énorme bouquet qu’il tente de poser. Ire de David : « Vous êtes qui… Vous n’êtes pas juif… Chez nous, c’est ni fleurs ni couronnes ». L’homme pourtant s’incruste, se présente comme un ami de longue date de Florence. « De Flo », corrige David, d’un ton sans appel. Edward Johnson n’est pas juif en effet, il est catholique, retraité et veuf lui aussi. Il souhaite revoir David, lui tend sa carte. Celui-ci s’étonne, il n’en voit pas la nécessité, mais il lui permet tout de même de poser les fleurs et accède à sa demande. Ils se reverront dans sept jours, après la période rituelle de deuil.
Assis sur le banc d’un parc ombragé, Edward a installé sur une petite table en fer forgé sa mallette à pique-nique qui renferme le whisky préféré de David ainsi que les petits sandwichs au pain de seigle qu’il affectionne. Celui-ci s’en étonne et n’est pas au bout de ses surprises : Edward semble tout connaître de sa vie ou plutôt de celle de Flo qu’il s’entête à nommer Florence. Une joute verbale sans merci s’instaure alors où chacun tente de convaincre l’autre de sa meilleure connaissance de la disparue, assenant une vérité qu’il croit sans faille, bientôt contredite par une autre toute aussi convaincante.
Marcel Bluwal met en scène avec jubilation cette pièce pleine d’humour, du britannique Lionel Goldstein, qui dépeint tout aussi bien les rites et coutumes pesants et compliqués de la religion juive que les sentiments de deux vieux bonshommes au bout de leur existence. Sa mise en scène rythmée, le décor simple et l’éclairage bien pensé confèrent une mobilité idéale qui servent pleinement le jeu des deux comédiens. Pour incarner David et Edward, deux monstres sacrés, habitués des planches et amis de longue date, s’en donnent à cœur joie. Rivaux dans la pièce, on les sent solidaires dans leur interprétation, unis par la même histoire, chacun marquant toutefois de sa patte personnelle le rôle qui lui est dévolu. Michel Aumont campe avec son talent coutumier et cette voix incomparable qui ont fait sa notoriété un David péremptoire mais dont les certitudes vont peu à peu voler en éclat en apprenant qu’il a vécu un demi siècle avec une personne qui n’est pas du tout celle qu’il croyait. Michel Duchaussoy, quant à lui, exprime brillamment la jubilation progressive qu’il ressent à se venger de celui qui lui a volé son amour et lui faire découvrir celle qu’il connaissait avant et bien mieux que lui ! Nous suivons ce duel touchant, à la fois amusés et attendris, car il nous renvoie à la perpétuelle question : Ne reste-t-il pas toujours une part d’ombre chez celui ou celle dont on partage la vie? Théâtre de l’Oeuvre 9e.


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