LES DANSEURS DE LA PLUIE

Article publié dans la Lettre n° 185


LES DANSEURS DE LA PLUIE de Karin Mainwaring (prononcer Mànering). Traduction Jean-Pierre Richard. Mise en scène Muriel Mayette et Jacques Vincey avec Catherine Samie, Catherine Ferran, Bruno Raffaelli, Julie Pilod.
Une masure au bout d’une piste qui traverse le bush australien, sous une pluie battante. Rita enfante dans la douleur, son mari Dan, inutile et pataud à ses côtés.
Bien des années plus tard, la même masure, dont la précarité est admirablement suggérée, est toujours debout, mais cette fois écrasée de soleil. Une jeune fille ouvre la porte pour étendre du linge. A l’intérieur, la voix d’une personne âgée réclame de sortir. La jeune fille lève les yeux vers le ciel et dit: « J’ai l’impression qu’il va pleuvoir ».
25 ans ont passé depuis la naissance de Kat, la jeune fille. Dan, parti la déclarer n’a pas reparu. La grand-mère, la mère, Rita, et la fille, vivotent au milieu de nulle part, reliées au monde par une piste inondable. Contre toute attente, Dan survient.
Cette variation moderne du thème du retour possède toute la richesse de ses conséquences, le règlement de compte entre Rita, dont la souffrance actuelle est le résultat de vingt-cinq ans de lutte pour assurer la subsistance de trois personnes, et son mari qui revient la défier. Une gifle assenée à son fils, donne une idée du caractère de la grand-mère qui hait sa vieillesse qui l’éloigne inexorablement d’une jeunesse éclatante, vécue avec gourmandise, pour la laisser glisser vers la mort. Pour Kat, qui s’éveille à sa vie de femme, le retour de ce père la sort définitivement de l’adolescence, car plus que la connaissance du père, ce retour signifie pour elle celle de l’homme.
Créée en 1992 avec succès à Sydney, son auteur a tout juste trente ans, Les Danseurs de pluie a été découverte en 1995 par les Comédiens-Français qui n’ont eu de cesse que de la monter, conquis par la puissance évocatrice de la pièce et la densité des personnages, « confrontés aux éléments et à leur propre histoire », comme le résume si justement Jean-Pierre Miquel. Muriel Mayette et Jacques Vincey, après le succès de leur dernière mise en scène commune de Chat en poche, réussissent un travail remarquable à partir d’un décor d’une judicieuse mobilité, dont le délabrement est le reflet de celui des personnages. Leur mise en scène met en valeur et suggère avec doigté la succession des moments forts de l’action et sait admirablement éviter l’indécence pour certains à la limite du scabreux. Les quatre rôles sont remarquablement distribués. Catherine Samie, est comme toujours divine, jouant de la vivacité étonnante de son corps et de ses traits, avec cette voix inimitable qui rend inoubliables, par sa perfection de ton, les deux monologues sur la jeunesse et la mer. Catherine Ferran se tire à merveille du rôle complexe de Rita. Bruno Raffaelli, à la fois cynique et vulnérable, joue un Dan formidable. Et puis, l’on reste subjugué par le jeune talent de Julie Pilod, époustouflante de fraîcheur, d’émotion, mêlée de stupeur, dans le rôle de Kat. Cette pièce est née d’une mésaventure de son auteur dans le fin fond du désert australien, une nuit de pluie diluvienne. C’est souvent à partir d’une situation limite que naissent les chefs-d’oeuvre. Théâtre du Vieux Colombier 6e (Lettre 185).


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