LA DANSE DE MORT

Article publié dans la Lettre n° 269


LA DANSE DE MORT de August Strindberg. Mise en scène Hans Peter Cloos avec Charlotte Rampling, Bernard Verley, Didier Sandre, Ophélia Kolb, Matthias Bensa.
Les noces d’argent ne représentent pas pour Alice et Edgar ce qu’elles signifient pour la majorité des couples, l’anniversaire de vingt-cinq années de vie commune, en principe harmonieuses. Pour eux, c’est l’automne « dehors comme dedans ». Ils ne se supportent plus et vivent reclus, ne fréquentant plus personne : il a fait le vide autour d’elle comme elle a fait le vide autour de lui. Ils ne sont plus invités, pas même au dîner que donne le médecin ce soir, et dont l’ambiance festive, renvoyée par la musique, parvient jusqu’à eux. Dans ce huis-clos électrique, chacun ressasse. Elle, ancienne actrice, regrette d’avoir arrêté le théâtre. Elle serait célèbre si elle n’avait pas épousé Edgar. Lui, capitaine d’artillerie, auteur d’un ouvrage éprouvé sur le maniement des armes dont plus aucune école ne se sert, a échoué là, sur cette île battue par les vents. Il maudit Kurt, son ami et cousin d’Alice, de lui avoir présenté cette femme au caractère infernal qui est devenue la sienne. Le voici d’ailleurs, le traître. Engagé sur l’île comme inspecteur de quarantaine et invité à la soirée du médecin, il passe les saluer. Ils ne l’ont pas revu depuis quinze ans. Kurt a disparu après avoir divorcé. Il est parti pour d’autres horizons. Il revient, dit-on, fortune faite. Dès son arrivée, Kurt se sent mal à l’aise. Pour lui, dans cette maison, la haine est palpable. « C’est un mélange d’amour et de haine, et ça vient de l’enfer ». Même les enfants que le couple montait l'un contre l'autre, ont déserté. Peu à peu le passé ressurgit. Alice apprend à Kurt que c’est grâce à Edgar que sa femme a su manœuvrer afin d’obtenir du tribunal l’autorité parentale. Kurt ne sait plus que faire. Il voudrait haïr cet homme et fuir cette femme dont il est encore amoureux. Quelque temps plus tard, c’est l’été. Kurt s’est installé avec son fils Allan dans une belle maison. Judith, la fille d’Alice et d’Edgar joue avec le cœur d’Allan tandis qu’Edgar joue avec la fortune de Kurt…
Trois mariages et trois divorces ont sûrement été pour August Strindberg la meilleure école qui soit pour apprendre les aléas de la vie de couple, ses attentes déçues, ses rancoeurs, ses déchirements. La Danse de mort, écrite en 1900, fut accueillie par la presse suédoise comme « une grotesque sabotière, lente et fastidieuse, dénuée d’émotion ». C’est pourtant elle qui révéla son auteur au public français qui appréciera chez lui la modernité et la liberté de ton. Il y a chez Alice et Edgar la même puissance destructrice des mots que chez Martha et George, héros d’Eward Albee. Si l’œuvre dépeint avec hargne leurs relations, elle dresse aussi un portrait au vitriol des rapports sociaux. Hans Peter Cloos, spécialiste du genre, on se souvient entre autres de sa mise en scène de la pièce d’Antoine Rault le Caïman (Lettre 250), a choisi de représenter la pièce dans sa version intégrale qui inclut les enfants, ce qui confère l’angoissante répétition chez eux des mêmes affres que leurs parents. Il exploite avec efficacité les tensions des scènes qui se succèdent à un rythme soutenu, la haine, le désespoir, la solitude mais aussi la soif d’amour inassouvie des personnages. Bernard Verley est un Edgar étourdissant, remplissant la scène de sa présence dévastatrice et cruelle. Le rôle d’Alice sied comme un gant à Charlotte Rampling qui mêle savamment la rouerie, la force et la vulnérabilité de son personnage, tandis que Didier Sandre joue avec subtilité un Kurt vaincu par l’acharnement destructeur dont il est victime. Face à eux, Ophélia Kolb et Matthias Bensa leur renvoient avec spontanéité leur jeu amoureux, clin d’œil de la jeunesse face à trois personnages au soir de leur vie, tous éclaboussés par le tourbillon ravageur de cette danse de mort. Théâtre de la Madeleine 8e.


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