LES DAMNÉS d’après le scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli. Mise en scène Ivo van Hove avec 32 comédiens et techniciens dont Claude Mathieu ou Sylvia Bergé, Éric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez et Sébastien Baulain.
En 1933, la montée du national-socialisme ne se fait pas sans violence. L’incendie du Reichstag, imputé à un opposant communiste, survient au moment où la famille Essenbeck, propriétaire de grandes aciéries dans la Ruhr, fête l’anniversaire du patriarche, le baron Joachim. Le cercle de famille est divisé, à l’image de l’Allemagne. Herbert Thallman, neveu de Joachim et directeur adjoint de l’entreprise, est opposé au national-socialisme. Konstantin von Essenbeck, second fils du baron, est membre des S.A. Friedrich Bruckmann et sa maîtresse Sophie von Essenbeck, veuve du fils aîné de Joachim, sont proches des S.S. Le soir de la célébration de l’anniversaire, l’annonce de l’incendie amène le patriarche à déclarer à la famille son intention de se rapprocher des nazis. C’est le moment que choisissent Friedrich et Sophie pour fomenter son assassinat afin de s’emparer des usines. Friedrich tue lui-même le vieil homme et fait accuser Herbert Thallman dont le seul recours est la fuite, laissant derrière lui pour leur malheur sa femme Elisabeth et ses deux filles. Joachim est le premier mort d’une hécatombe qui va frapper les Essenbeck. Martin, son petit-fils, fils de Sophie, hérite de la présidence. Pris par la soif du pouvoir et poussés par le cousin Wolf von Aschenbach, membre des S.S, dont le but est de faire entrer les aciéries dans le giron du gouvernement d’Hitler, les principaux membres de la famille vont progressivement s’éliminer…
L’ampleur de la distribution donne la mesure de ce spectacle magistral qui repose pleinement sur le scénario de Visconti et de ses coscénaristes, conçu à grand renfort de prises de vue filmées et projetées en « live ». On assiste à l’ascension inexorable des S.S à l’intérieur même du cercle de famille, mais également aux changements opérés chez les personnages, en particulier à la prise de conscience politique de Günther, musicien et fils de Konstantin, et de Martin, aux penchants pédophiles, tous deux si peu intéressés par la politique au début de la pièce. Les costumes à portée de main, les comédiens se changent à vue, assistés par l’habilleuse, tandis que six hommes en noir s’activent. Le scénario est ramené à deux heures vingt d’un spectacle saisissant où jamais le rideau ne tombe, où la lumière est toujours présente sauf pour ponctuer les actes, où tout se passe à la vue du public, lui-même filmé de temps à autre. Les forfaits et les crimes commis, filmés et projetés, donnent un formidable mouvement aux multiples événements. L’élimination de Konstantin s’intègre dans la nuit des longs couteaux où les S.A tombent comme des pions sur un échiquier. Les vies fauchées sont suggérées en vidéo par des cercueils et par la présence sur le devant de la scène d’une urne funéraire, clou du spectacle. Pas une seconde de répit pour rendre vivante cette fresque monumentale, jouée à la manière d’une tragédie grecque par une troupe éblouissante. Comédie-Française - Salle Richelieu 1er.