D.A.F. Marquis de Sade

Article publié dans la Lettre n° 350
du 11 février 2013


D.A.F. Marquis de Sade. Texte Pierre-Alain Leleu. Mise en scène Nicolas Briançon avec Dany Verissimo, Pierre-Alain Leleu, Michel Dussarat, Jacques Brunet.
Il vient d’être transféré sans ménagement dans un cachot de la Bastille, dans un inconfort pire que celui qu’il vivait depuis quelques années au Châtelet. Marquis de très haut lignage peut-être, mais en butte à la règle bornée, serinée à l’envi par un geôlier satisfait d’exercer sa tyrannie sur la morgue de cet aristocrate hautain et dégénéré. La provocation maligne de Donatien Alphonse François, marquis de Sade, ne viendra pas à bout de cette carapace de crasse mentale imperméable à toute forme de raisonnement et d’ironie.
D.A.F., faute de mieux, va donc occuper son temps interminable à l’expression de la seule liberté que nul ne peut lui contester, celle du souvenir, de l’imagination, de la réflexion et de leur formulation. D’un cheminement autobiographique qui titube entre raisonnement, révolte, douleur, obscénité, il se crée un témoin né de ses fantasmes, une superbe jeune femme pulpeuse et perverse, icône des fantômes et cauchemars qui l’ont accompagné au long de sa vie. La pensée jaillit, à la fois anarchique et sous-tendue par le fil d’une stupéfiante pertinence politique et sociale. Et on oscille entre nausée et admiration, tant la violence des visions pornographiques s’entremêle à la fascination que suscite cette intelligence en geyser, d’une modernité peu commune sur les questions fondamentales. Il n’est que de l’écouter disserter sur son dégoût motivé de la prison et de la peine de mort, de le suivre dans son ironie cinglante et lucide sur les haines familiales. Et, au milieu des vomissures de sa logorrhée, on ne résiste pas à la compassion que fait naître cet homme étrangement antipathique et d’une puérilité attendrissante.
Dans le décor elliptique des grilles du cachot, les trois acolytes, - le garde vicieux, l’austère porte-parole de la religion, la conscience femelle -, cernent Pierre-Alain Leleu qui campe un Sade odieux et touchant, tellement vivant. Sans chercher à édulcorer la brutalité insoutenable du propos obscène, il parvient à montrer l’ambiguïté du libertin philosophe pétri, en dépit de sa provocation permanente, d’une humanité exacerbée aux confins de la folie. Le sarcasme ne voile pas l’angoisse et un tel besoin de tendresse. Difficile d’échapper au malaise, mais aussi à la lucidité en miroir, on n’en ressort pas indemne. Ciné 13 Théâtre 18e. A.D.


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