CYRANO DE BERGERAC

Article publié dans la Lettre n° 258


CYRANO DE BERGERAC d’Edmond Rostand. Mise en scène Denis Podalydès avec 21 comédiens dont Véronique Vella, Michel Favory, Andrzej Seweryn, Michel Robin, Sylvia Bergé, Jean-Baptiste Malartre, Eric Ruf, Eric Génovèse, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Christian Gonon, Françoise Gillard, Michel Vuillermoz, Grégory Gadebois.
Constant Coquelin avait commandé à Edmond Rostand un rôle à sa mesure. Celui-ci lui conçut un rôle aussi démesuré que le nez dont il l’affubla. Quelque mille deux cents vers sur les deux mille cinq cent soixante dix que contient une oeuvre dotée d’une cinquantaine de rôles ! A la veille de sa création, le 28 décembre 1897 au théâtre de la Porte Saint-Martin, persuadé de l’échec de sa pièce, l’auteur s’en excusait auprès de son interprète et metteur en scène : « Ah ! Pardonnez-moi, mon ami, de vous avoir entraîné dans cette désastreuse aventure ! » La désastreuse aventure se solda, contre toute attente, par un succès considérable, public et critique confondus, et ceci pour moult raisons. Après la défaite de 1870, ce théâtre de cape et d’épée sans prétention philosophique survenait comme une aubaine dans la noirceur de cette fin de siècle. La transposition dans le registre héroïque des ingrédients du théâtre bourgeois touchait toutes les couches de la société. Une mise en scène nouvelle et inventive, grâce à des moyens inédits, achevait de conquérir les plus réticents. Enfin, chacun pouvait s’identifier à ce héros sans peur et sans reproche, que sa disgrâce physique rendait plus humain et dont le seul luxe, au demeurant fort gaulois, était l’indépendance et la liberté. Cyrano, brillant soldat et bel esprit, mais défiguré par son appendice, ne pouvait espérer voir un jour une robe passer dans sa vie. Amoureux de sa cousine Roxane, une précieuse superficielle éprise d’un cadet répondant au nom de Christian, il exprimera cet amour jalousement caché, par le truchement du jeune homme aussi beau et niais qu’il était laid et spirituel, tout ceci dans un contexte de guerre propice à l’héroïsme.
Quelle étrange entreprise que de mettre en scène cette pièce foisonnante aux rebondissements incessants en de multiples lieux, où se succèdent sans relâche actions et sentiments. Denis Podalydès s’y emploie avec fougue, exploitant avec talent la formidable construction de l’oeuvre. Si l’opportunité du prologue qu’il a imaginé est discutable, les actes s’enchaînent à un rythme endiablé et l’on suit amusés les péripéties qui se succèdent au détour de chaque vers. Le réalisme est tel qu’il nous semble parfois être dans un film, et c’est celui, mémorable, de Jean-Paul Rappeneau qui vient alors à l’esprit. Il faut dire que tous les moyens qu’offre la scène du Français sont exploités. Eric Ruf respecte les didascalies de Rostand et nous transporte d’un lieu à l’autre grâce à des décors aussi nombreux que travaillés. La rôtisserie est à elle seule un petit chef-d’oeuvre, tout comme le décor très grande guerre du siège d’Arras. Le parti pris des costumes d’époques diverses de Christian Lacroix a le mérite de contribuer à donner une touche d’originalité à l’ensemble.
Les comédiens enfin, sont à la mesure de l’entreprise. Michel Vuillermoz a la carrure et la prestance du rôle écrasant de Cyrano. Doté d’un nez particulièrement démesuré, il n’a pas l’avantage physique des Jean Piat, Jacques Weber, Jean-Paul Belmondo ou Jean-Claude Drouot qui l’ont précédé, mais il en possède le panache, réjouissant dans les grandes tirades, émouvant dans les autres. Andrzej Seweryn est un de Guiche parfait. Françoise Gillard fait brillamment évoluer son personnage de la précieuse superficielle à la véritable amante, ne vivant plus que dans le souvenir de Christian, joué par Eric Ruf dont on salue la sobriété. Eric Génovèse, excellent Le Bret, Grégory Gadebois pittoresque Ragueneau, pâtissier poète…Tous dans un même talent conquièrent un public ravi et c’est au cœur … qu’à la fin de l’envoi, ils touchent ! Comédie Française 1er.


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