LES CUISINIÈRES

Article publié dans la Lettre n° 397
du 23 mai 2016


LES CUISINIÈRES de Carlo Goldoni. Mise en scène Philippe Lagrue avec Heidi-Eva Clavier, Christian Cloarec, Zazie Delem, Isabelle Gardien, Aude Gogny-Goubert, Grant Lawrens, Thomas Matalou, Lauriane Lacaze, Alain Payen, Françoise Pinkwasser, Baptiste Roussillon, Catherine Sauval, Maxime Taffanel, Pauline Vaubaillon.
Sur de simples poteaux s’ancrent des draps blancs. A coup sûr plus immaculés que la conscience des personnages qui vont s’y enrouler, glisser, échapper, dérober au regard sinon à l’oreille. Tous voyeurs, indiscrets, méchants, hypocrites, séducteurs et volages. Ces draps sont la métaphore des désirs charnels qui les taraudent, chacun à sa mesure. La folie du carnaval vénitien entraîne une noria haute en couleurs : les vieillards libidineux abusent du privilège de leur fortune non sans répandre leur acrimonie sur les jeunes servantes qui se plient à leurs caprices, les dragueurs se mettent en chasse de bonne fortune, sans se montrer trop regardants sur l’âge de la donzelle d’un soir. L’époux, lassé de son acariâtre jalouse d’épouse, espère les faveurs de sa voisine, qui est prête à toutes les hypothèques, immobilières et sentimentales, pour assouvir son insatiable passion du jeu. Elle fera méchanceté commune avec la dite épouse, lorsqu’il sera question de dauber sur l’insupportable insolence de leurs cuisinières respectives. Car voici les meneuses de la revue, frustrées d’une liberté que la vie quotidienne leur refuse, avides de plaisirs débridés d’un jour, de la chair fraîche que la licence carnavalesque leur octroiera par l’artifice du masque. Une bague, objet du marchandage amoureux, passe de main en main, aussi lestement que la parole qui circule et le fiel qui imprègne les échanges. Derrière et au-delà de la légèreté vivace de l’intermède, le masque ne suffit pas à voiler la cruauté qui sous-tend une société de règlements de compte, de rodomontades, d’inégalité des sexes, d’argent avaricieux, de lucidité douloureuse sur l’âge qui écarte les soupirants. Goldoni excelle dans la facétie et le persiflage, et la mise en scène, très subtile, ne laisse pas en repos des acteurs amusés et trépidants. Parole sans entrave, grivoiserie de bon aloi scandent cette suspension du temps, dont on sait bien que les lendemains ne chanteront pas, même si les menaces qui s’échangent dans le final ne seront pas toutes effectives, chacun trouvant son intérêt dans ce désordre consensuel.
Et le rire masque, tout en la dévoilant, la violence des relations humaines et sociales. Sans pitié et sans illusion. On en redemande. A.D. Artistic Théâtre 11e.

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