LA CROISADE S’AMUSE
Article
publié dans la Lettre n° 351
du
4 mars 2013
LA CROISADE S’AMUSE de Rachida
Khalil. Mise en scène Emmanuelle Michelet avec Rachida Khalil
et Abderahim Khalil.
Elle est d’abord presque caricaturale, avec sa robe informe et son voile à vous décoller les oreilles, évoquant tous les Ben… dont elle se prétendrait la mère …Ali, Laden, jusqu’à –Nuts ! Eh oui, le ton de l’à-peu-près est donné dès la première des sept saynettes qui composent le spectacle. Calembours prévisibles ou moins convenus, jeux de mots parfois vaseux, souvent avec « l’accent de là-bas ». Entrecoupées et chorégraphiquement rythmées par les entrechats des ballerines, tour à tour petits rats d’Opéra ou meneuses de revues de cancan, les diverses figures de la femme arabe sont déclinées, traditionnelle, aguicheuse, communautaire, avec ou sanspartenaires. Comme les images d’Epinal des revanches féministes, des clichés de racisme ordinaire dont la femme serait victime, consciente ou non. Les danseuses sont ravissantes, le ton de Rachida Khalil léger, grivois, frivole, aguicheur, tout comme ses affriolantes tenues de vamp de luxe perchée sur des talons à donner le vertige.
On pourrait se contenter de ne voir dans ce spectacle qu’une facile prestation d’humoriste dans l’air du temps, celui des Printemps outre-Méditerranée, des sexualités non conformes. Mais le propos est beaucoup plus acéré qu’il n’y paraît, justement parce qu’il force sans combat le rire et le regard décalé. Et la dérision est efficace parce qu’elle montre combien la bêtise ordinaire est « polychrome ». Y suffirait, si besoin était, le duo aviné et réjouissant de bidochons qui commentent, avec la suffisance de leur stupidité, l’arc-en-ciel des cultures représentées dans les nombreux étages de leur cité. On trouve toujours plus caricaturalement méprisé que soi, n’est-ce pas ? Racisme absurde des petits et sans grade qui se vengent ainsi de leur propre médiocrité, dans les mots mêmes qui ont forgé l’ostracisme dont ils ont été victimes dans un passé pas si lointain.
La dernière scène, - prémonitoire ou utopique
?-, voit, dans un musée occidental, un couple de nouveaux
maîtres du monde, après le retournement des rôles
géopolitiques. Dialogue en apparence cuistre et artificiel,
en miroir de nos propres pédanteries. Alors, on mesure dans
la pertinence de ce final combien le rire bien visé atteint
ses cibles, mieux que les armes mortifères de tous les va-t-en
guerre, croisés de tout acabit. Théâtre
du Petit Montparnasse. A.D.
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