CREANCIERS

Article publié dans la Lettre n° 247


CREANCIERS d’August Strindberg. Mise en scène et adaptation Hélène Vincent avec Lambert Wilson, Emmanuelle Devos, Jean-Pierre Lorit.
Adolphe et Gustav discutent avec la flamme qui anime une nouvelle amitié. Adolphe est comme apaisé, lui qui sort si péniblement d’une dépression. Lui, le sculpteur, est pétri par le doute et l’angoisse face à la création et, surtout, devant ce mystère impénétrable qu’est son épouse Tekla. Gustav, le nouvel ami providentiel, écoute avec superbe. Il distille savamment des propos à double tranchant dont le venin chemine lentement vers l’esprit enfiévré et fragile d’Adolph. Cette femme est-elle la cause de tous ses maux ? Tekla apparaît lumineuse et voluptueuse. Le nouvel ami confident de son mari, elle ne le connaît que trop bien. Tel un prédateur, il veut se venger d’elle.
Créanciers fut écrite en quinze jours en 1888. L’encre du manuscrit de Mademoiselle Julie n’était pas encore sèche. Selon Strindberg, elle est l’un des fleurons de son œuvre, comme Père et Mademoiselle Julie, elle fait partie de ses pièces naturalistes. Il aimait décrire cette tragédie naturaliste comme une pièce pour trois personnages, une table et deux chaises. Le style est dépouillé, l’écriture sèche sans fioritures « sans gras ni os ». Il n’offre au public que la «noix» de la crise. Les sentiments exprimés sont vifs, tranchants. Le premier dialogue où Strindberg refuse les conventions du dialogue explicatif, met le spectateur dans une incertitude face aux relations des personnages, cette incertitude qui est au cœur des relations homme-femme selon l’auteur. Adolph est un artiste en proie aux affres de la création et du désir et cherche dans ses sculptures à modeler la femme, sa femme. Il aurait souhaité être son Pygmalion. Ce premier dialogue est emblématique de l’œuvre de Strindberg. Il pose ses personnages avec l’ombre d’un secret, d’un désir inassouvi, plante un décor simple avec une économie de moyens, des phrases simples, fulgurantes dans leur cruauté quotidienne. L’ombre du doute plane sur tout.
Hélène Vincent a monté cette pièce comme un thriller, personnage à double facette, dialogue sibyllin. On pense immanquablement à un bon Hitchcock en noir et blanc où les contrastes sont si subtils. Elle a choisi d’implanter les personnages dans leur époque d’écriture. Les costumes sont simples et représentatifs de leur époque. Gustav, Adolph et Tekla sont au cœur d’une humanité ardente de désirs refoulés, inassouvis et surtout d’un jeu de pouvoir. Hélène Vincent a poussé ses comédiens dans cette aventure humaine déchirante. Emmanuelle Devos, envoûtante Tekla, Lambert Wilson superbement machiavélique et Jean-Pierre Lorit, victime de sa propre faiblesse, forment un trio implacable qui réclame les créances du succès pour ce spectacle d’une sobre beauté. Théâtre de l’Atelier 18e.


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