LA CONTREBASSE
Article
publié dans la Lettre n° 364
du
10 février 2014
LA CONTREBASSE de Patrick Süskind.
Mise en scène et lumières Daniel Benoin avec Clovis Cornillac.
Seul chez lui, le musicien s’affaire tout en monologuant. Il ne
peut guère cacher l’instrument qui lui permet de gagner sa vie en
tant que membre de l’Orchestre National, fonctionnaire d’état, excusez
du peu. L’imposante contrebasse repose au premier plan. Il ne manque
pas de relever son importance. À ses yeux « la contrebasse est l’instrument
le plus important dans l’orchestre ». « Si on n’est pas là, rien
ne va plus, il y a déséquilibre ». Convaincu que la contrebasse
est le centre de l’orchestre, il garde tout de même les pieds sur
terre car il sait que les autres sont jaloux. Ceci dit, même s’il
ne manque pas de faire observer la beauté de son galbe, même s’il
a du « boddy », ce corps énorme est bien encombrant. Réflexion faite,
il finit par avouer qu’« on ne naît pas contrebassiste, on le devient,
par hasard… par déception ». Peu à peu, notre musicien module l’enthousiasme
qu’il souhaitait faire partager. Tout en énumérant les œuvres classiques
qui ne font guère la part belle à la contrebasse, et pour cause,
et tout en cherchant les musiciens qui, eux, l’ont exploitée comme
elle le mérite, il se met alors à déverser toutes ses frustrations
et ses rancoeurs sur l’encombrante compagne qui partage plus de
la moitié de sa vie. Il se révolte. Sa vie ? Elle est faite d’un
amour inassouvi pour une jeune et belle mezzo-soprano qui le bouleverse
mais qui ne sait même pas qu’il existe, relégué comme il l’est tout
au fond de l’orchestre. Sa vie ? Elle se résume à une insondable
solitude dans l’appartement, aussi insonorisé qu’un tombeau, où il
vit, irrémédiablement seul à quarante ans, une fois passées les
heures des répétitions et des concerts.
L’œuvre de Patrick Süskind peut s’interpréter de diverses façons,
c’est ce qui en fait sa richesse et son originalité. Le jeu lunaire,
très introverti de Jacques Villeret (Lettre 138) marquera
pour toujours ceux qui ont eu le bonheur de voir ce comédien d’exception
interpréter ce rôle. Une fois n’est pas coûtume, mais la comparaison
s’impose car Clovis Cornillac marquera tout aussi fortement l’œuvre
par sa personnalité. Au jeu intimiste et émouvant de Jacques Villeret,
Clovis Cornillac oppose une interprétation extravertie, toute en
force, orientant davantage le texte sur l’importance de l’instrument
dans les œuvres musicales à travers les époques. Ici réside la grande
réussite du travail de mise en scène, des lumières, du décor et
de l’interprétation, le talent de savoir offrir une autre vision
d’une œuvre sans la trahir et sans effacer la précédente. Deux noms
sont dorénavant associés à La contrebasse de Patrick Süskind,
Jacques Villeret et Clovis Cornillac. Théâtre de Paris - Salle
Réjane 9e. Pour
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