COCHONS
D'INDE
Article
publié dans la Lettre n° 296
COCHONS D’INDE de Sébastien Thiéry.
Mise en scène Anne Bourgeois avec Patrick Chesnais, Josiane Stoleru,
Sébastien Thiery, Anna Gaylor, Partha Majumder.
Une succursale de banque comme toutes les succursales de banque.
Murs blancs, moquette grise, ambiance impersonnelle. Alain Kraft,
cinquantenaire élégant, franchit le sas d’entrée en même temps qu’une
autre cliente plutôt âgée. Il maîtrise mal son impatience car il
est pressé et,comme toutes les vieilles dames, elle est malhabile
et prend tout son temps. Enfin, il fait une demande de retrait en
espèces de cinq cents euros au guichetier peu empressé et dont les
« veuillez patienter » successifs lui portent sur les nerfs. Alain
Kraft patiente puis s’énerve lorsque le guichetier lui annonce qu’il
ne peut en rien le satisfaire, son compte est bloqué. Las d’espérer,
il rejoint la sortie mais la porte est bloquée, elle aussi. Le guichetier
imperturbable lui explique alors que la banque, le C.I.F, vient
d’être rachetée par la « Bank of India » dont le siège est en Inde
et que l’ouverture de la porte est commandée depuis New Delhi. Aussi
atterré qu’incrédule, Alain Kraft s’assoit pour souffler et surtout
tenter de comprendre la situation. Une femme entre à son tour par
le sas d’entrée mais la porte se referme avant qu’il ne puisse faire
un geste. Il s’agit de Brigitte, la directrice de l’agence. Elle
semble vouloir prendre les choses en mains mais il faut se rendre
à l’évidence, son client dépense beaucoup trop. Fils d’artisans,
il est devenu marchand de biens, il a donc fait des bénéfices sur
le dos de ses clients et pis, il a changé de caste. Il est passé
de la caste des shudras à la caste des vaishas, crime impardonnable.
Soumis à la loi indienne depuis le rachat du C.I.F, Alain Kraft
est considéré comme fraudeur. Le siège va donc étudier son cas avant
de le relâcher ! L’incompréhension et l’impuissance rendent Alain
Kraft fou de rage. Il explose, pris au piège d’un huis clos sans
issue. Puis il essaye par tous les moyens de se sortir de ce cauchemar
tentant, entre autres, de soudoyer ses geôliers. La directrice qu’il
a traitée de « mal baisée » et qui, elle, se sait « pas baisée du
tout » lui propose un marché que la morale réprouve. Cette scène
donne l’occasion à Josiane Stoléru de faire un numéro de vamp qui
devrait faire date dans les annales du théâtre ! Bref, rien n’aboutit
jusqu’à l’arrivée du directeur indien...
Nous pourrions osciller entre une longue scène de caméra cachée,
le récit d’un épouvantable cauchemar ou une pièce d’un émule de
Ionesco ou d’Harold Pinter mais c’est bien d’une farce burlesque
dont il s’agit. Sébastien Thiéry vit à l’heure de la mondialisation,
des rachats de n’importe quoi par n’importe qui, son imagination
fait le reste, il a matière ! Cette comédie bien ficelée, dont l’idée
géniale est le système des castes, lui permet grâce à des dialogues
loufoques et décalés d’épingler le représentant d’un pays dit riche
qui se croit supérieur face à un autre qui l’est moins et qu’il
a jusqu’à présent regardé d’un œil méprisant. La mise en scène pétulante
d’Anne Bourgeois est excellente et ne donne guère l’occasion aux
comédiens de souffler. Le décor, plus vrai que nature, est très
réussi avec la vue sur la rue et ses immeubles cossus style haussmannien.
Le jeu des comédiens porte littéralement la pièce. Patrick Chesnais
est l’homme de la situation, passant par toutes les humeurs en un
clin d’œil, Josiane Stoleru est excellente comme nous venons de
le souligner, Partha Majumder fait un numéro de directeur indien
hallucinant et l’auteur est lui-même un guichetier tout à fait crédible.
Théâtre Hébertot 17e.
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