CISEAUX, PAPIER, CAILLOU
Article
publié dans la Lettre n° 313
CISEAUX, PAPIER, CAILLOU de Daniel
Keene. Traduction Séverine Magois. Mise en scène Marie-Christine
Soma et Daniel Jeanneteau avec Carlo Brandt, Marie-Paule Laval,
Camille Pélicier-Brouet, Philippe Smith.
Il a des mains magnifiques. Longues, carrées, solides. Des mains
pour tailler, faire jaillir et caresser la pierre. Cette pierre
que Kevin ne taille plus depuis que la carrière a fermé. Des mains
désormais désœuvrées dans le vide de 18 mois de chômage, de promenades
essoufflantes pour la vieille chienne qui l’accompagne, d’errances
entre bistrot et conversations vides avec le copain de déveine,
Franck. Témoins impuissants ou tendrement exaspérés de cette lente
désintégration, sa femme Meg et sa fille Bridget. Celle-ci a 15
ans, donne à sourire par ses naïves interrogations sur la Révolution
Française, danse souplement sur des rythmes d’adolescente en rupture
de vraie conversation avec ce père qu’elle a aimé et ne sait plus
comment aborder. Celle-là ne trouve pas les mots à dire à son mari
et son inquiétude est émouvante devant cet homme qu’elle ne comprend
plus tout en l’aimant sincèrement, qu’elle accompagnera sans hésiter
dans ses non-dits.
« J’ai besoin de poids dans les mains et de douleurs dans le
dos », toute cette solitude stérile Kevin la porte jusqu’à creuser
une tombe dans les vestiges de la carrière, à s’y coucher pour y
écouter les voix qui le hantent. Et à sa prière ne répond que le
silence de cette statue qu’il a fait naître de la terre, modelée
et polie. Telle cette Vierge au sortir de sa gangue, émerge peut-être
en Kévin la conscience d’un autre rapport au monde et à son amour
indéfectible pour les siens.
Carlo Brandt donne une densité bouleversante à cet homme de la pierre,
face à Camille Pélicier-Brouet, fille tendrement aimée, Marie-Paule
Laval, épouse si attendrissante avec son sourire de souffrance perplexe,
et Philippe Smith en compagnon un peu simplet du désœuvrement forcé.
Dans la simplicité dépouillée de la mise en scène, le large plateau
scindé donne à voir en ombres chinoises l’intimité du couple, les
acteurs y prononcent des paroles banalement quotidiennes et la chienne,
impériale, revient saluer, comme ses complices en bonheur théâtral,
aux applaudissements longuement mérités. Théâtre National de
la Colline-Petit Théâtre 20e. A.D.
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