LE
CIRCUIT ORDINAIRE
Article
publié dans la Lettre n° 245
LE CIRCUIT ORDINAIRE de Jean-Claude
Carrière. Mise en scène Patrick Martinez et Pascal Laurens avec
Pascal Laurens, Patrick Martinez.
Le rapporteur est assis. Il est un peu tassé sur son tabouret. Depuis
quinze ans, il a pour fonction de dénoncer tout comportement qu’il
juge suspect chez ses compatriotes. Il transmet alors ses informations
par le circuit ordinaire, un système de délation très au
point. Il aime son métier, il le fait bien. Le commissaire l’a convoqué
et il l’attend. Ce n’est pas la première fois. Ces convocations
régulières avaient jusqu’à présent pour but de faire le point. Son
supérieur lui avait même conseillé de s’auto dénoncer afin de brouiller
les pistes. Il l’a fait avec autant de zèle que pour tout un chacun,
adressant régulièrement par le circuit ordinaire des lettres contre
lui-même. Cependant depuis trois mois, le commissaire a été remplacé
par un autre, un jeune cadre. Celui-ci entre, va et vient puis s’assoit
sur une chaise, sûr du pouvoir que lui confère la hiérarchie. Il
a l’avantage du siège mais aussi celui que lui fournit le contenu
du dossier qu’il possède sur le rapporteur. Car les dénonciations
qu’il contient, il n’est pas certain qu’elles soient l’œuvre du
dénonciateur lui-même. Le rapporteur va devoir le convaincre qu’il
a lui-même rédigé ces lettres. Ce dernier sait que leur contenu
est suffisant pour l’envoyer derrière les barreaux. Accusateur,
il est aujourd’hui accusé. Une discussion s’engage entre les deux
hommes, une sorte de joute oratoire où chacun choisit avec soin
mots et arguments afin de neutraliser l’autre. Si le commissaire
a la supériorité de sa position, son manque d' expérience va devoir
affronter celle beaucoup plus grande du délateur. Toujours assis
sur son tabouret, celui-ci se redresse peu à peu.
Jean-Claude Carrière a placé l’argument de sa pièce à une époque
indéterminée dans un régime autoritaire où tout peut arriver. Il
explore les arcanes du fameux circuit ordinaire, système
de délation instauré plus particulièrement dans les pays communistes.
Il décrit aussi le danger pernicieux que confère le pouvoir ainsi
que le jeu savant des rapports de force. La réussite de sa démonstration
repose entièrement sur l’écriture. Elle est précise, puissante.
Jean-Claude Carrière manie savamment les mots et le raisonnement
qui peuvent sauver ou perdre un homme, toute une rhétorique que
Patrick Martinez et Pascal Laurens mettent en scène et interprètent
avec un art consommé. En cinquante minutes tout est dit, un travail
d’orfèvre, d’une remarquable efficacité. Petit Hébertot 17e.
Retour
à l'index des pièces de théâtre
Nota:
pour revenir à « Spectacles Sélection »
il suffit de fermer cette fenêtre ou de la mettre en réduction
|