LE CID

Article publié dans la Lettre n° 299


LE CID de Pierre Corneille. Mise en scène Thomas le Douarec assisté de Nassima Benchicou. Musique Luís de la Carrasca, avec Olivier Bénard, Clio Van de Walle, Marie Parouty, Jean-Pierre Bernard, Florent Guyot, Gilles Nicoleau, Aliocha Itovich, Jean-Paul Pitolin et huit chanteurs musicien et danseurs (en alternance).
Lorsque le soufflet du Comte de Gormas atteint la joue de son père don Diègue, Rodrigue est dans sa prime jeunesse. Son épée est encore vierge du sang des maures. Élevé dans l’ombre d’un père glorieux, la renommée ne l’a pas encore atteint. Son surnom de Sidi, respectueusement donné par les maures pour sa bravoure, n’est pas encore écrit dans les pages de l’histoire. Mais il a déjà du cœur lorsque don Diègue, trahit par son bras, crie sa rage, son désespoir et sa vieillesse ennemie et lui demande de venger l’affront. Rodrigue hésite car le Comte n’est autre que le père de Chimène, l’objet de sa passion. Entre l’honneur et l’amour, c’est le devoir qui l’emporte sur les sentiments et, la mort dans l’âme, il voit Chimène lui échapper mais avec un « va, je ne te hais point », espoir insensé d’un improbable pardon. Chimène, elle aussi, a du cœur. Entre l’amour qu’elle porte à son père blessé à mort, baignant dans le sang répandu par son amant, et sa passion pour celui-ci, son cœur et sa raison balancent. Se faisant violence, elle crie pourtant vengeance jusqu’au bout. Il faudra l’attaque soudaine du royaume par les maures et toute l’autorité d’un roi pour démêler l’écheveau de ce drame amoureux, pour que l’amour triomphe sans entacher l’honneur.
Laquelle des deux versions choisir ? La tragi-comédie, version de 1636, qui fit scandale pour ne pas respecter l’incontournable règle des trois unités et pour sa fin politico-morale incorrecte, ou la tragédie, remaniée par l’auteur en 1682 ? Inspirée par les Enfances du Cid de Guillén de Castro, la première est encore caressée par la lumière des premières comédies de Corneille mais possède déjà l’ombre de ses futures tragédies. En reprenant l’idée de l’auteur de situer toute l’action à Séville, Thomas le Douarec tranche : dans son Cid, « on s’aime, on se bat, on se révolte, on se déchire et on rit ». Armé des ciseaux de son génie, il coupe, retravaille cette œuvre mythique pour en tirer le suc, une tragi-comédie andalouse que Corneille n’aurait sûrement pas reniée.
Du génie, il en faut pour s’attaquer à ce monument sans pour autant le trahir, en un mot lui apporter son âme, celle de l’Espagne du XIe siècle, ravagée puis occupée depuis trois siècles par les arabes qu’il faudra inlassablement repousser durant quatre siècles encore pour en récupérer les ultimes territoires. Époque effroyable, mais aussi exceptionnelle, où les alliances n’étaient pas toujours celles logiques de rois chrétiens contre rois maures, le surnom de Cid bientôt suivi de Campeador, pour faire bonne mesure, en fait foi. Séville est le lieu par excellence, judicieux décor de Claude Plet où se mêlent dans les murs de pierre et les fenêtres hispano-moresques deux architectures bien marquées, syncrétisme de deux peuples qui surent aussi rayonner ensemble. Entre honneur bafoué, amour contrarié, vengeance et honneur retrouvé, Thomas le Douarec se focalise sur les deux personnages les plus importants, pour que de fille meurtrie, pétrie de contradictions, Chimène devienne femme et libre, pour que du jeune Rodrigue naisse le Cid. Il les enveloppe dans une intrigue rapide, violente, brutale, alliant ainsi la musicalité des alexandrins de Corneille à ce qui fait l’âme de l’Andalousie : sa musique, sa danse, ses mélodies, rythmées par les coups de talon incontournables et lancinants du flamenco, administrés par de formidables danseurs.
Dix ans après sa création, c’est un Cid encore plus incisif, plus achevé qu’il recrée, servi par une musique envoûtante, les superbes lumières de Gael Cimma et des comédiens hors norme, habillés à ravir par les soins de Corinne Page, avec en tête Clio Van de Walle, divine Chimène, Olivier Bénard, excellent tant dans son jeu que dans les scènes de combats, réglés avec talent par Patrice Camboni. On ne peut les citer tous, comédiens, chanteurs, musiciens ou danseurs qui entraînent avec fougue un public conquis, parmi lesquels de nombreux adolescents qui n’en croient pas leurs yeux face à ce classique qu’ils croyaient ennuyeux, ovationnant debout et dans un même élan ce Cid version flamenca de deux heures et quart qui passe comme un souffle, celui brûlant et sensuel de l’Andalousie. Théâtre Comédia 10e.


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