LES
CHAUSSETTES OPUS 124
Article
publié dans la Lettre n° 274
LES CHAUSSETTES OPUS 124 de Daniel
Colas. Mise en scène de l’auteur avec Michel Galabru, Gérard Desarthe.
Il fait froid sur la scène du théâtre vide. Brémont, s’est assoupi
en attendant Verdier, auteur et metteur en scène d’un spectacle
de clowns où duo de violon et de violoncelle, poèmes et pantomimes
alternent. Les deux hommes ont une longue carrière derrière eux
mais comme il arrive bien souvent, les propositions sont devenues
de plus en plus rares et la vie s’est écoulée, laissant derrière
elle maints regrets et frustrations. Si Verdier est un homme discret
et réfléchi qui occulte volontiers sa vie privée, Brémont est plus
extraverti, plus frondeur. D’emblée, il fait quelques remarques
et critiques sur le spectacle de Verdier et sur sa mise en scène,
prenant soin de bien lui montrer que sa grande carrière passée mérite
la considération présente. Verdier, ouvert à toutes les suggestions
l’écoute, acceptant certains changements, mais persiste à vouloir
conserver les personnages des clowns (un grand bravo à Brigitte
Faur-Perdigou pour les superbes costumes). Si Brémont se trouve
ridicule habillé de la sorte, Verdier y tient et d’ailleurs, les
costumes sont déjà prêts. Les répétitions s'enchaînent. De par le
caractère opposé des deux hommes, les réflexions fusent puis les
heurts se succèdent jusqu’à l’affrontement. Quelle histoire pour
une chaussette trouée au pied de Verdier mais qui, selon Brémont,
en dit long sur l’homme !
En deux coups de plume Daniel Colas cerne très bien le milieu théâtral
avec le mur d’incompréhension qui divise les différentes corporations
de cette grande famille qui se voudrait solidaire. Ici, les a priori
du travail d’acteur de l’un, et de metteur en scène de l’autre,
sont passés au crible et remarquablement exploités. Mais au-delà
des métiers du théâtre, c’est la vie même de ses artistes qu’il
insuffle à ses deux personnages. S’ils sont metteurs en scène ou
comédiens, Verdier et Brémont sont avant tout deux pauvres hères
malmenés par l’existence. Quittés par leur femme ou jugés responsables
de leur disparition, reniés ou abandonnés par leurs enfants, oubliés
par le monde du théâtre qui les faisait vivre, la pauvreté et la
solitude sont le seul horizon qui leur reste avec la mort au bout.
En cette période de Noël, où tout un chacun devient plus fragile
face à l’enthousiasme puéril des autres, il leur faudra mettre leurs
humeurs et leur amour propre dans leur poche afin de « s’accorder »
pour ne pas sombrer. « Il faut rester soudés […]. Solidaires. Et
faire front. Et convaincre ».
Daniel Colas met en scène avec une précision d’horloger ce texte
émouvant qu'il a ciselé lui-même, joue subtilement avec les lumières
et insère avec art la musique très adaptée de Emmanuel Herschon.
La sobriété du jeu et la justesse du ton des deux comédiens laissent
éclater l’immense talent qui les unit lorsque les mots les opposent.
La scène où Michel Galabru, d’une éblouissante sobriété, considère
le chèque que lui tend Gérard Desarthe et commente son geste, restera
comme l’une des plus belles de la pièce, car elle embrasse à elle
seule toute l’émotion et l’humour qui ont soufflé sur le plateau,
balayant les injures et le drame qui s’est joué. Théâtre des
Mathurins 9e.
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