LE CHAT

Article publié dans la Lettre n° 399
du 19 septembre 2016


LE CHAT d’après l’œuvre de Georges Simenon. Adaptation théâtrale Christian Lyon et Blandine Stintzy. Mise en scène Didier Long avec Myriam Boyer et Jean Benguigui.
C’est avec maintes précautions qu’Émile enveloppe le corps sans vie de Joseph dans le papier journal d’un grand quotidien national. Joseph est un chat de gouttière qui était entré dans son existence, juste après la mort d’Angèle, sa première femme. Sa peine se mêle à une arrière-pensée vengeresse : Marguerite n’a certainement pas laissé traîner la boîte de mort-aux-rats sans intention. « Voir mourir tous ceux qui tenaient à moi », tempête-t-il, s’en est trop pour ce veuf retraité. Il a épousé Marguerite et s’est installé chez elle dans le seul but de joindre leur solitude mais il regrette aujourd’hui sa décision.
« C’est un homme de peu mais il est gentil ». Cette réflexion de Marguerite résume le fossé qui les sépare, tout comme le Cordial des Alpes qu’elle lui offre, plus accoutumé qu’il est au gros rouge. Milieu social, éducation et mode de vie, tout les oppose. Façonnés par une vie qui les a malmenés, ils souffrent d’une solitude qu’ils pensaient gommer en s’unissant. Cette « mésalliance » ne pouvait engendrer que mésentente. Ils voudraient se haïr mais l’impossibilité de vivre l’un sans l’autre contrarie l’animosité qui les anime. En peu de temps, leurs relations se sont détériorées comme le quartier dont le programme d’urbanisation angoisse Marguerite avec raison. Les promoteurs sont à sa porte pour lui prendre sa maison, le seul bien qui lui reste de sa famille, celle « des biscuits Doise », oh combien respectable. La ruine de leur vie commune est scandée par celle d’un quartier voué à la démolition.
Le roman est une étude à la fois sociologique et psychologique, située dans une époque pleine de bouleversements et fréquentée par des milieux sociaux divers. Dans ce contexte, Georges Simenon explore par petites touches le comportement de personnages pas plus méchants ou égoïstes que d’autres et la manière dont ils ont mené leur vie. Il démontre avec perspicacité combien les aléas de l’existence ou le hasard d’une rencontre inappropriée conduisent les actes. En prêtant à la plupart des personnages présents ou évoqués, une noirceur qu’ils n’ont pas dans le roman, l’adaptation, par ailleurs plutôt réussie, verse parfois dans la caricature. La mise en scène ponctue cependant parfaitement la vie quotidienne du couple par de nombreuses petites scènes intercalées et par d’autres aussi nombreuses, rappelant un passé révolu auquel il se rattache vigoureusement pour ne pas sombrer. Ce passage continuel entre présent et passé représente un tour de force pour les deux comédiens qui virevoltent de l’un à l’autre. Évoluant dans des décors et des costumes bien assortis, drôles ou émouvants, Myriam Boyer et Jean Benguigui incarnent avec éclat ces deux personnages terriblement malheureux qui s’accrochent à leurs certitudes, elle buvant son thé le petit doigt levé, lui ne manquant pas d’humecter la mine de son crayon avant de s’en servir. Ils n’ont rien à envier au couple Gabin-Signoret, protagonistes pourtant inoubliables du film éponyme de Pierre Granier-Deferre. Théâtre de l’Atelier 18e.

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