LE CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN
Article
publié dans la Lettre n° 350
du
11 février 2013
LE CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN de Bertolt
Brecht. Mise en scène Fabian Chapuis avec Jean-Patrick Gauthier,
Florent Guyot, Stéphanie Labbé, Jean-Christophe Laurier, Benjamin
Penamaria, Agnès Ramy, Boris Ravaine, Marie-Céline Tuvache, Elisabeth
Ventura, Eric Wolfer.
Un territoire de kolkhoze à se partager. Les bergers contre les
fruitiers, la fable théâtrale réconciliera pour une fois les Abels
et les Caïns… et on va jouer la chanson d’une geste en métaphore
des conflits ataviques. Noblesse de cour versus noblesse de cœur,
liens du sang et appétits du lucre contre gain de la vraie grandeur,
celle de l’amour désintéressé et vigilant.
Parce que la ville assiégée est la proie des flammes, son gouverneur
assassiné, et que l’épouse futile et égoïste se montre plus préoccupée
de la survie de ses brocarts que de celle de leur jeune fils Michel,
l’humble Groucha entame une longue et périlleuse marche pour la
survie de l’enfant. Le fiancé est enrôlé dans la guerre, le frère
au-delà des montagnes, soldats et escrocs de tout poil se lancent
aux trousses des fuyards. Groucha franchira gués et cols, affrontera
la pusillanimité des dévots, se soumettra aux désirs inévitables,
sans lâcher un seul instant la main de l’enfant. Intacte et fidèle
dans sa naïveté et sa générosité, fière et digne jusqu’à l’explosion
de sa parole de liberté, de plus en plus mère au prix du sacrifice,
dans l’ultime jugement de Salomon.
L’aventure de Groucha est le fil d’une fresque haute en couleurs
et en multiples personnages qu’incarnent les dix acteurs de la troupe,
revêtant alternativement oripeaux, coiffes et masques, autour de
la saisissante marionnette de l’enfant. Et l’infinie variété des
lieux et des situations est mise en relief comme par antiphrase
dans le dépouillement extrême du décor. Deux demi-pyramides de bois,
jointes ou séparées, en plans inclinés montants ou descendants,
figurent portes, ville, caravansérail, montagnes escarpées et rivières
profondes, périlleuses passerelles et tables festives. Elles seront,
en final, la métaphore de la puissance et de la justice dans leur
réalité instable et arbitraire.
Captivé et enchanté au sens propre, le spectateur y puise les sources
de sa propre liberté imaginative et onirique. Le rythme incoercible
et la souplesse des acteurs, - surtout celle de Florent Guyot en
juge déjanté en proie à ses cauchemars -, sont à l’aune de la luxuriance
de ce périple, qui donne à voir, à rire, à frémir, à s’émouvoir,
à battre des mains. Magnifique. Théâtre 13 / Seine 13e.
A.D.
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