CE QUI ARRIVE ET CE QU'ON ATTEND

Article publié dans la Lettre n° 319
du 6 décembre 2010


CE QUI ARRIVE ET CE QU’ON ATTEND de Jean-Marie Besset. Mise en scène Arnaud Denis avec Virginie Pradal, Arnaud Denis, Blanche Leuleu, Adrien Melin, Jonathan Max-Bernard, Niels Adjiman, Jean-Pierre Leroux.
Dans l’antichambre d’un cabinet ministériel, Philippe Derrien et Robert Lebret attendent une décision vitale pour leur carrière. Tous deux architectes, ils soumettent à un jury les plans d’un projet ambitieux : la construction du premier monument sur la lune. Derrien, la trentaine, vient de rentrer à Paris avec sa femme Nathalie après un séjour de cinq ans en Afrique, et n’a pas encore fait ses preuves. Lebret, vieux routier du métier, a pignon sur rue. Leur angoisse est palpable. Leur projet fait partie des quatre derniers retenus. Lequel d’entre eux décrochera la lune et à quel prix ?
Une oeuvre mémorable, Villa Luco (Lettre 25), avait projeté sur le devant de la scène un jeune auteur qui, très prolifique, deviendra vite incontournable. Outre cette production régulière et de haut niveau, des séjours aux Etats-Unis, des traductions et des adaptations jalonnent depuis lors la carrière de Jean-Marie Besset. De nombreuses pièces se sont succédé, toutes reçues avec estime par la critique et le public. Le texte de Ce qui arrive et ce qu’on attend est très écrit. Les dialogues incisifs fusent avec éclat. Dans cette pièce créée en 1993 au Théâtre de la Gaîté Montparnasse (Lettre 74), à l’affiche en début de saison au Vingtième Théâtre dans une mise en scène d’Arnaud Denis et reprise ici, l’auteur explore les arcanes du pouvoir, celui excessivement puissant d’un ministère ou d’une administration, ses manigances et tractations souterraines et ses contreparties humiliantes qu’un homme peut accepter ou refuser, selon ses propres valeurs et son intégrité.
C’est le cas de Philippe Derrien dont le jeune et impatient talent ne pèse pas lourd dans la sphère décrite par Jean-Marie Besset. S’il refuse tout compromis, sa femme Nathalie, s’adapte plus vite que lui à ce monde que leur candeur ne soupçonnait pas. Car si Jean-Marie Besset jette un regard féroce « sur l’amour du pouvoir », il en jette un autre tout aussi vif sur « le pouvoir de l’amour ».
A texte brillant, mise en scène brillante. Arnaud Denis a placé la sienne dans un décor unique dont le mobilier suggère tour à tour l’antichambre, l’appartement de Nils Abbot, où séjourne Jason Leyder, membre du jury, les bureaux du ministre ou de la Direction de l’Architecture. Son travail d’une précision et d’une perspicacité remarquables est essentiellement organisé autour des personnages dont aucun rôle n’est mineur.
Il manque à Robert Lebret le chef-d’œuvre qui marquera le sommet de sa carrière. Il connaît tous les rouages de l’administration et ses chausse-trape et acceptera toutes les forfaitures, tous les compromis pour y parvenir. Fonctionnaire brillante mais Diane chasseresse désireuse d’assouvir ses désirs, Louise Erkanter joue et use de son pouvoir sans vergogne. Jason Leyder, membre du jury à la fulgurante carrière, sait que pour lui la partie est perdue, la maladie fauchant sans attendre ses ambitions et ses rêves. Nils Abbot, l’ami qui l’abrite à Paris, est le regard extérieur de ce panier de crabes où tous s’agitent. Mauvais génie de la bande, il observe et exploite avec cynisme les opportunités qui s’offrent à lui. Philippe Derrien et sa femme Nathalie sont à un moment de leur vie où ce qu’ils attendent n’est pas forcement ce qui leur arrive.
Les comédiens incarnent leur personnage avec un naturel confondant, Arnaud Denis interprétant avec talent celui de Jason. Après l’Ingénu (Lettre 279), Les fourberies de Scapin (Lettre 286), Les femmes savantes (Lettre 301), nous attendions avec impatience le nouveau travail de ce jeune metteur en scène de vingt-six ans. Le plaisir est au rendez-vous, son talent n’attendant pas le nombre des années. Dans les mains de ce surdoué de la scène, oeuvres classiques ou modernes prennent vie avec une formidable acuité. Il émane d’elles ce regard particulier, ce parfum rare, celui du génie. Le Petit Montparnasse 14e.


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