CARMEN À TOUT PRIX

Article publié dans la Lettre n° 389
du 7 décembre 2015


CARMEN À TOUT PRIX ! de Sophie Sara. Mise en scène Manon Savary avec Mathieu Sempéré, Sophie Sara, Ariane-Olympe Girard, Bertrand Montbaylet, Philippe Scarami. Musiciens Julien Gonzales (accordéon), Romain Fitoussi (guitare), Antoine Delprat (violon).
Les quatre têtes pendues au fond de la scène ne font pas partie du décor de Carmen mais de la pièce Les Abysses du désespoir, programmée pour le lendemain. M. Karchensky, directeur du Théâtre des noisetiers, s’enorgueillit de créer des pièces dans le vent. N’a-t-il pas mis à l’affiche récemment La Résurrection des bulots, œuvre majeure de 5h30 sans entracte ? Le poulet plumé accroché au premier plan est quant à lui le symbole d’une grève surprise. Antoine Ribeau, syndicaliste responsable, a décidé de frapper un grand coup, le théâtre c’est tout de même autre chose. « Théâtre outragé, théâtre martyrisé mais théâtre libéré » est son leitmotiv. Grève ou pas, Karchensky résiste à la pression. Il tient à maintenir la représentation de ce soir. On jouera « à tout prix » l’intégrale de Carmen. Le théâtre s’achemine vers le dépôt de bilan, la salle est pleine, rembourser est inenvisageable. Remplacer les grévistes n’est pas une mince affaire. Le directeur s’assure de la fidélité de son assistante Willelmina. Folle de joie à l’idée d’interpréter le rôle de Carmen, rêve qu’elle nourrit depuis fort longtemps, celle-ci est prête à relever le défi. Bérénice Lagrange, la comédienne retenue pour le rôle de Micaela, n’a pas l’intention de faire grève, elle attend depuis un an la visite d’un impresario new-yorkais qui sera ce soir dans la salle. Elle souffle même le nom de Jean Dumont pour le rôle de Don José. Il n’a pas inventé le fil à couper le beurre, mais il est libre. La stagiaire n’osant pas suivre les grévistes, s’occupera de la régie. Le problème des chœurs se résout après une prière appuyée du directeur au petit Jésus. Il reste toutefois un souci majeur, trouver des musiciens. La question « Y-a-t-il un pianiste dans la salle ? » restant sans réponse, Bérénice s’absente et revient avec trois musiciens du Châtelet… Il faut comprendre du métro Châtelet-Les Halles ! La représentation peut commencer… même si certains costumes sont surprenants (le premier que revêt Willelmina est plutôt « pointu »)… même si le rôle de Mercedes n’est pas encore pourvu… même s’il faut soudoyer Antoine Ribeau pour assurer le rôle d’Escamillo... Dire que tout se déroulera sans anicroche est un bien grand mot, la création des décors se faisant selon les accessoires qui traînent, voire les photos de vacances et chacun ayant une vision très personnelle de l’œuvre, de son personnage et de son ego …
La mise en scène de Manon Savary et l’interprétation des comédiens sont jubilatoires. Sophie Sara a écrit là une comédie intelligente, drôle et pleine de trouvailles. On savoure pleinement les péripéties et les rebondissements délirants qui la jalonnent. Théâtre Trévise 9e.


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