LES
CAPRICES DE MARIANNE
Article
publié dans la Lettre n° 300
LES CAPRICES DE MARIANNE d’Alfred
de Musset. Mise en scène Marcel Maréchal et Michel Demiautte avec
Marcel Maréchal, Flore Grimaud, Mathias Maréchal, Yannick Debain,
Philippe Escande, Hélène Arié, Michel Demiautte, Jacques Angéniol,
Antony Cochin.
A Naples, le carnaval bat son plein. Déguisé à la diable, Octave
s’enivre de plaisirs. « Huit jours hors de chez toi, tu te tueras
Octave » le sermonne son ami Coelio, la mine aussi sombre que ses
habits. Depuis un mois, il erre autour d’une maison, le jour, la
nuit. Il n’aura fallu que la démarche furtive d’une jeune femme
se rendant à la messe ou peut-être la caresse fugace d’un regard,
pour que son coeur soit pris. Vingt fois il a tenté de l’aborder,
vingt fois il a renoncé. Il lui faut quelqu’un qui parle en son
nom, un ami de confiance qui soit son ambassadeur. Octave ne comprend
pas l’état de désespoir de Coelio, anéanti par cet amour qui lui
échappe, mais la mine de son ami lui fait peur. Il le met en garde
contre cet excès soudain et décide de l’aider. Cousin du mari, il
ne le fréquente guère mais il ne lui semble pas inconvenant d’aborder
sa cousine: « Il est triste comme la mort depuis qu’il vous a vue ».
Cette réplique devrait attendrir le cœur le plus dur mais celui
de Marianne reste de marbre. Mariée à Claudio, elle aime son mari,
assure-t-elle, et connaît ses devoirs. Cependant celui-ci, jaloux
de son honneur, veille. D’abord en proie à quelques premiers soupçons
vite envolés, une certitude attisée par son valet, le décide à agir.
Une scène un peu trop violente, des reproches trop vifs à l’égard
de Marianne vont mettre le feu aux poudres. Haute de ses dix-neuf
printemps, la jeune femme a du caractère. Furieuse de ce manque
de confiance, elle décide de franchir le pas pendant que son mari
tend un piège à l’improbable amant. Un rendez-vous arraché pour
son ami fait le bonheur d’Octave qui croit la partie gagnée, mais
Marianne est capricieuse, son choix ne se porte pas sur Coelio qui,
ignorant tout, se rend au rendez-vous fixé...
Alfred de Musset n’a que vingt-trois ans lorsqu’il écrit cette pièce,
l’âge de l’emportement et de toutes les folies. Son jugement sur
l’amour et le couple est déjà bien affirmé. Il écrit d’un premier
jet, pour se faire plaisir. Les mots percutants, les phrases enflammées
courent et s’envolent avec une liberté de ton et d’action. Il y
a du Shakespeare dans l’affrontement des sexes, dans la passion
contrariée, dans la jalousie aveugle qui mène au meurtre final.
Faisant fi des contraintes théâtrales, Alfred de Musset place chaque
scène dans un décor différent et donne ainsi un formidable rythme
à ce drame amoureux mais complique diablement la mise en scène.
Marcel Maréchal et Michel Demiautte s’attaquent à cette œuvre réputée
injouable, comme la plupart des pièces de Musset, et qui fut un
échec à sa création. La grande difficulté à surmonter sont les multiples
lieux. Le décor astucieux de Thierry Good, assisté par les lumières
de Jean-Luc Chanonat, fait diablement bien son office. Très léger
et vite transformable, il fait passer les personnages en un clin
d’œil de la place d’un quartier de Naples, au salon, au café, au
jardin… S’improvisant musiciens ou chanteurs, les comédiens jouent
avec passion, chacun au plus près de son personnage. La sécheresse
de ton de Flore Grimaud, Marianne guindée, élevée au couvent, le
romantisme exacerbé de Yannick Debain, Coelio touchant, et surtout,
l’appétit de vivre, l’enthousiasme puis la peine exprimés par Mathias
Maréchal, Formidable Octave, font merveille. Les autres comédiens
sont tout aussi remarquables, Marcel Maréchal et Michel Demiautte
ayant la lourde tâche de jouer tout en mettant en scène.
« Poète de la jeunesse », pour reprendre la définition de Victor
Hugo à son égard, Alfred de Musset enjambe allègrement les siècles
et nous offre une œuvre à la fois grave et légère, sensuelle et
pleine de fantaisie. Théâtre 14 14e.
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