LE
CAÏMAN
Article
publié dans la Lettre n° 250
LE CAÏMAN d’Antoine Rault. Mise en
scène Hans Peter Cloos avec Claude Rich, Christiane Cohendy, Féodor
Atkine, Hélène Surgère, Nicolas Raccah.
Juliette rencontra Henri sur un quai de gare, à la libération. Il
revenait d’Allemagne où il était prisonnier. Résistante et militante
communiste, elle était chargée d’accueillir ceux qui rentraient
des camps. Pour elle, ce fut le coup de foudre: ils partageaient
la même passion et les mêmes convictions. Professeur à Normale Sup,
Henri fut toute sa carrière le maître à penser, caïman incontesté
de bon nombre d’étudiants admiratifs, jusqu’à en modeler la pensée.
Juliette resta dans l’ombre, omniprésente, couvant l’être aimé.
Aux yeux de tous, ils vivaient une relation fusionnelle. En réalité,
Juliette cachait depuis toujours la maladie d’Henri. Celui-ci, maniaco-dépressif,
aurait dû être interné mais elle s’y refusa. Aujourd’hui, la maladie
devient de plus en plus difficile à juguler. Thérèse, la sœur d’Henri,
bourgeoise catho, le psychiatre qui le suit depuis des années et
un jeune prêtre, ancien élève, tentent de leur venir en aide alors
qu’une crise plus violente s’annonce.
Antoine Rault s’est inspiré de la vie de Louis Althusser, ce «messie
marxiste de la rue d’Ulm» qui, après une vie entière passée avec
sa femme, l’étrangla. Pourquoi? Ce passage à l’acte surprenant a
intrigué l’auteur qui brode une théorie autour d’un mystère resté
inexpliqué. Si être convaincu de partager le même rêve et, du même
coup, imposer à long terme sa façon de penser est une gageure, vivre
toute sa vie en imposteur l’est tout autant. Qui des deux fut en
définitive le caïman de l’autre? La démonstration de l’auteur, remarquable
par sa logique, crée des rôles en or pour des comédiens virtuoses.
Claude Rich exprime avec talent l'extrême violence de son personnage.
Christiane Cohendy excelle dans un rôle difficile qui doit la rendre
exaspérante. L’admirable apparition de Féodor Atkine, en psychiatre,
celles non négligeables d’Hélène Surgère et de Nicolas Raccah, les
complètent. Hans Peter Cloos installe ce couple infernal dans un
loft cossu mais aussi froid que l’âme du maître. Il offre, grâce
à une mise en scène efficace et tout en finesse, un spectacle de
qualité. Théâtre Montparnasse 14e (01.43.22.77.74) (texte
publié dans L’avant-scène théâtre n°1193).
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