BRITA BAUMANN

Article publié dans la Lettre n° 324
du 21 mars 2011


BRITA BAUMANN de Gaëtan Peau et Quentin Defalt. Mise en scène Quentin Defalt avec Juliette Coulon, Valentine Erlich, Olivier Faliez, Charlotte Laemmel, Emmanuelle Marquis, Gaëtan Peau. Ils sont minables, ridicules, insupportables, immondes.
Dans la famille Cadouin, il y a le père, Roland, le chanteur qui se prend pour un meneur de groupe musical promis à un avenir certain hors des limites étriquées des bals de bourgades auxquels ses compétences le cantonnent. Despote au cœur sec, vaniteux et borné, il terrorise ses deux filles. Laurence, l’aînée au physique disgracieux, assume les corvées domestiques, rêve d’archéologie et subit dans l’amertume les sarcasmes incessants de sa cadette, Laurence, adolescente travaillée par les désirs de la chair, obscène dans son comportement verbal et physique. Vulgaire et révoltée, elle consacre son temps aux SMS et tente de parer les gifles de son père. A leurs côtés, Violaine, nouvelle compagne de Roland, châtelaine paumée et involontairement pétomane, a cru trouver dans cette famille aux antipodes de ses aspirations, le réconfort à sa solitude. Roland, déjà lassé, ne la supporte que pour l’argent qu’elle dispense et la rabroue, même s’il lui confie les costumes de scène et quelques chorégraphies, ce qu’elle accomplit sans nul goût, ni énergie, ni grâce. Pour compléter ce tableau de la médiocrité familiale et musicale, le beau-frère Jean-Jacques, brave gars aux plaisanteries éculées, abreuvé de solitude par le divorce et l’éloignement de son fils. Il joue du clavier aux côtés de ses nièces à la guitare. Univers glauque, vulgaire, étouffant, dont la méchanceté sordide est avivée par la présence de Brita, jeune correspondante allemande échouée là parce que ça rapporte quelques subsides à Roland. Elle ne comprend rien à ce qui se dit, du moins peut-on le croire, et à ce titre est une oreille toute trouvée aux secrets que chacun vient y déverser en toute impunité. Aux chansons bruyantes, elle oppose dans le secret de ses nuits la pureté du clavier de Bach qui accompagne les lettres qu’elle écrit à son frère bien aimé. On y voit très bien la nuit, il faut juste regarder différemment et avec une patiente acuité. Romantiques et de plus en plus désespérées parce que sans réponse, ses lignes témoignent de la profondeur de son regard sur un monde dans lequel elle se sent perdue. Quelle étrange malédiction que d’être née ! Elle en paiera, dans l’indifférence générale, le prix tragique.
Pour rendre la veulerie de cet univers, la mise en scène très efficace procède par panneaux peints, cuisine, garage, forêt avec cerf au bord de l’eau, au milieu desquels des personnages, grimés en livide et cernes, évoluent comme des archétypes de la non-profondeur. Tout est en carton peint, sans volume, guitares, clavier, repas, téléphone, même le chien de Violaine. Les nattes de Brita, caricaturalement teutoniques, et son mutisme sans faille accroissent le choc des cultures.
Beaucoup de rires, certes, dans ce spectacle rondement mené et chanté par des acteurs excellents, rires de plus en plus grinçants, de plus en plus acides, à la mesure de notre malaise face à ce miroir qui nous renvoie les vilénies ordinaires d’un monde à notre porte. Seule la dérision nous évite la nausée. Mais nous nous ébrouons, si peu indemnes… Théâtre 13 13e. A.D.


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