LA BOTTE SECRETE DE DOM
JUAN
Article
publié dans la Lettre n° 309
LA BOTTE SECRÈTE DE DOM JUAN de Grégory
Bron. Mise en scène Afag Théâtre avec Simon-Pierre Boireau, Grégory
Bron, Benjamin Dubayle, Vincent Dubos, Jean-Baptiste Guintrand,
Virginie Rodriguez, Charlotte Rondelez.
Dom Juan endormi est sur le point de se faire traîtreusement pourfendre
par trois spadassins masqués… Mais non, ce n’est pas Dom Juan, c’est
Léonard qui survit avec souplesse et ironie à ce triple assaut,
non sans pourfendre au passage deux des assaillants grâce à sa botte
secrète, dont il affirme qu’il la tient de Dom Juan en personne.
Incorrigible manieur de mots qu’il combine avec brio dans d’impeccables
alexandrins, Léonard enseigne sa magie de bretteur à son amie Léonie,
aux dépens du troisième larron à qui il est tenu, par serment à
Dom Juan, d’ôter la vie. Mais qui donc a commandité son meurtre
? Léonard, tout à sa verve escrimeuse, a oublié de le demander à
la dernière victime !
Deuxième acte, la délicate Florence, gracieux avatar de Célimène,
monologue sur l’amour et le féminisme et refuse ses faveurs à l’odieux
Tancrède de Mondragon, détestable Alceste sournois, fourbe et cupide.
Ne serait-ce pas le commanditaire de l’assassinat heureusement raté
? Léonard se vengera, bien sûr, brillant séducteur, amoureux mais
sincère de Florence comme de tous les jupons qui passent à portée
de ses bras enjôleurs.
Les duels souplement éblouissants se mêlent aux commentaires désabusés
et revendicatifs des figurants, sur le monde ambiant, sur leur condition
d’intermittents du spectacle. Tous « alexandrinisent » avec verve,
quelles que soient l’élégance ou la verdeur relâchée de leurs propos.
Tous sauf … l’inopiné spectateur qui surgit sur la scène, papillon
naïf qui vient se brûler les ailes aux charmes de la jeune première,
même si on lui explique patiemment qu’on ne peut rompre ainsi trivialement
la magie de la scène, que tout n’est qu’illusion, qu’il est impossible
aux acteurs de franchir ce quatrième mur invisible qui entretient
la fantasmagorie du théâtre. Les acteurs sont excellents, joyeux
complices de ce jaillissement de capes et d’épées. Et l’entrelac
de ce langage résolument moderne avec la souplesse de l’alexandrin
fait merveille, dans ce théâtre en costumes qui donne à voir comme
à entendre un plaisir partagé qui ne se dément pas un seul moment.
Théâtre du Ranelagh 16e. A.D.
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