BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°
332
du
14 novembre 2011
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN de William
Shakespeare. Mise en scène Clément Poirée avec Suzanne Aubert, Bruno
Blairet, Eddie Chignara, Manon Combes, François de Brauer, Jean-Claude
Jay, Matthieu Marie, Laurent Menoret, Alix Poisson, Julien Villa.
Hero s'évanouit de honte et de douleur, Don Juan s'évanouit dans
la fuite, une fois son forfait perpétré. Béatrice ne se mariera
jamais, ah mais non ! Benedict restera célibataire, cochon qui s'en
dédit ! Toute l'intrigue repose sur ce double jeu de miroir. La
douce, blonde et virginale Hero est la pureté incarnée, son père
Leonato l'adore et la fiance au comte Claudio, sous l'œil bienveillant
de Don Pedro. Happy end possible de l'intrigue. Ce serait compter
sans Don Juan, frère bâtard du Prince, qui n'a d'autre remède à
sa mélancolie que la calomnie jalouse. Et comme il résonne en perversité
avec son gredin de suivant Borachio, le piège se referme sur l'angélique
Hero et son soupirant, bien prompt à prêter foi à sa vision abusée.
Pleurs, rage, vengeance plurielle, mort. Nulle rémission à cet excès
de tragique… si, dans ce jeu cruel des apparences et de la réalité,
Shakespeare n'emboîtait pas l'autre intrigue, à peine moins grinçante.
La cousine de Hero, Béatrice, à la langue caustique et acérée, s'est
juré un célibat sans appel. Benedict, quant à lui, clame haut et
fort son allergie au mariage. Ce serait compter sans les autres
qui jouent les démiurges de l'amour.
Comme des phalènes aimantées au même feu, les deux bretteurs de
mots se donnent l'assaut répété. Tout sera bien qui finira bien.
On mariera tout ce joli monde. Fin de parties.
Mais quoi, on se contenterait d'une si mièvre bluette ? ! ! C'est
là tout le génie de cette double intrigue, soulever l'amertume rieuse,
susciter le rire en fausset, déciller même les plus naïfs regards
sur la réalité de l'amour. Jeux de dupes, artifice d'aristocrates
en mal de distraction, qu'en est-il de ces unions fondées sur un
mensonge avéré, une lucidité pervertie ? Hero oubliera-t-elle la
trop facile trahison de son beau Claudio qui, parce qu'il se sent
morveux, se prêtera à la compromission d'un nouvel engagement ?
Les deux duellistes de charme s'aiment-ils autrement que dans la
vanité d'eux-mêmes ? Paroles creuses qui sonnent dans le clair-obscur
des temps et des cœurs.
On rit beaucoup, on tremble à peine, à l'image de ces policiers
matamores qui se donnent l'importance de leur réjouissant charabia.
Jubilatoire métaphore d'un monde de bruit vain et de fausse fureur,
où on s'aime et s'épouse faute de mieux. La mise en scène, alerte
et très convaincante, joue avec les espaces, les respirations, les
miroirs, les masques, les voix et les silences. Et les acteurs,
excellents à l'unanimité, se prêtent à ces virevoltes des sentiments,
des mensonges et des lucidités. Dans l'insondable dérision des amours
humaines. Qu'en termes et gestes joyeux ces choses-là sont dites
! Cartoucherie - Théâtre de la Tempête 12e. A.D.
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