L’AUTRE de Florian Zeller. Mise en scène Thibault Ameline avec Jeoffrey Bourdenet, Benjamin Jungers, Carolina Jurczak.
Ils sont tous deux allongés sur une petite estrade au centre de la scène dépourvue de tout autre mobilier, elle encore prise par le sommeil, lui éveillé. Il se lève et s’habille prestement. On sent qu’il a hâte de partir comme s’il voulait oublier ce qu’il vient de commettre. Elle s’éveille doucement et lui dit son désir de le voir rester encore un peu, jusqu’au matin, qu’elle puisse terminer cette nuit dans ses bras. Il n’accède pas à sa prière, prétend qu’il doit partir maintenant. C’est alors qu’il parle de Lui, son meilleur ami mais son compagnon à elle, qu’ils viennent de tromper. Faut-il le lui avouer, faut-il se taire ? Ils conviennent de tout lui dire lorsqu’il rentrera. Une succession de huit tableaux s’enchaînent alors, où l’auteur tente de répondre à une question paradoxale : « Faut-il, pour vivre ensemble à jamais, ne jamais vivre ensemble ? ». La pièce se ferme comme elle a commencé ; il s’habille, elle s’éveille, avec sur les lèvres la même interrogation …
On croirait presque voir la plume déchirer le papier. Rien de tendre dans ce langage théâtral maîtrisé, cette dissection des affres de l’amour, aux frontières du rêve et de la réalité. Sous le sentiment amoureux qui point, mensonge, jalousie, récriminations, angoisses sont jetés là sans concession. L’écriture de Florian Zeller est vive, sans fioritures. Les répliques sonnent, cyniques, impitoyables et brèves, une sorte de jeu cruel, un marivaudage mêlé de disputes à la Strinberg qui surprend, venant d’un auteur si jeune. Entre rêve, réalité ou cauchemar, les personnages éprouvent toute une gamme de sentiments contradictoires, brillamment exprimés par les trois comédiens.
Lorsque la pièce fut créée en 2004, Florian Zeller avait vingt-deux ans. Les critiques furent élogieuses, la lettre d’un Laurent Terzieff, enthousiaste, laissait présager un avenir brillant. Douze ans et quelques pièces plus tard, le présent lui donne raison. Théâtre de Poche 6e.