AU MOMENT DE LA NUIT

Article publié dans la Lettre n° 324
du 21 mars 2011


AU MOMENT DE LA NUIT d’après les œuvres « La Nuit et le Moment » de Crébillon Fils et « Le Pain de Ménage » de Jules Renard. Adaptation et mise en scène Nicolas Briançon avec Anne Charrier et Nicolas Briançon.
La nuit est bien avancée. La maîtresse de maison regagne sa chambre après un dîner auquel elle a convié quelques amis. Tous se connaissent, beaucoup ont partagé le même lit avant de se quitter. Durant la soirée, ils ont feint d’ignorer l’amant ou la maîtresse délaissés mais ont aussi soupesé leurs espoirs ou leurs chances vers d’autres conquêtes.
Dans la société libertine de Crébillon, on a du temps, et ce temps passe lentement. Désœuvré, on s’ennuie. Le jeu est « d’avoir » ou tenter d’avoir cette femme-là dans son lit pour, après, s’en enorgueillir toujours, la regretter parfois, la mépriser le plus souvent de céder. Quand on a dit « elle est à tout le monde », on a tout dit et scellé une bonne fois pour toutes sa réputation. Dans ces étreintes-là, seul le plaisir recherché est à atteindre, le désir a toutes les raisons que le cœur ignore car l’amour n’entre jamais en compte, en tout cas chez les hommes, sauf exception. Les femmes, elles, sont beaucoup plus fragiles. Le sentiment amoureux a pour elles une importance que ne soupçonne même pas leur partenaire. Notre maîtresse de maison, elle, tente de surmonter une rupture récente, une trahison plutôt. Elle n’a guère envie de se brûler les ailes une fois encore. Et c’est à ce moment que, lui, entre dans sa chambre. Elle s’en offusque tout d’abord mais il sait prononcer les mots qu’il faut. Alors elle s’apaise, accepte qu’il reste un moment. Il tente d’en abuser, elle résiste. La conversation dévie sur un badinage qu’il veut conduire jusqu’à son lit, ce qu’elle refuse. Finira-t-elle par se rendre ou s’en tiendra-t-elle à son serment ? Dans la société de Jules Renard, un couple en a invité un autre à dîner. La femme de l’un et le mari de l’autre sont restés seuls à prendre un dernier verre au salon. La conversation tourne autour de leur couple respectif. Tous deux se disent comblés. La conversation se fait plus intime lorsqu’ils abordent le sujet délicat de la fidélité. Mais aucun des deux n’a sauté le pas, tranquilles dans leur petit bonheur. Il se fait alors plus pressant, lui fait miroiter une aventure, un départ à deux. Se laissera-t-elle convaincre? Sauteront-ils le pas ?
Crébillon Fils et Jules Renard sont réunis là par le talent de Nicolas Briançon. Son habile adaptation a su conjuguer le style très châtié de l’un à celui plus moderne, tout aussi pur de l’autre, et qui en est le subtil écho. Nous prenons un vif plaisir à écouter ces dialogues ciselés, restitués comme une caresse d’une intense sensualité. La complicité palpable entre Nicolas Briançon et Anne Charrier fait merveille. Ils nous invitent à ce délicieux voyage au cœur d’une carte du tendre revisitée, devenue celle du désir de l’autre, exacerbé, qui sera ou ne sera pas assouvi. À une époque ou Internet isole un peu plus tout un chacun, ce badinage à deux, au moment de la nuit, coule comme une source fraîche. Celle-ci fait l’effet d’un bain voluptueux dans lequel nous nous plongeons avec délice. Studio des Champs-Elysées 8e.


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