L’ANNIVERSAIRE

Article publié dans la Lettre n° 357
du 23 septembre 2013


L’ANNIVERSAIRE de Harold Pinter. Traduction Éric Kahane. Mise en scène Claude Mouriéras avec Cécile Brune, Éric Génovèse, Nicolas Lormeau, Nâzim Boudjenah, Jérémy Lopez, Marion Malenfant.
Dans leur pension de famille officiellement inscrite dans les registres, Meg et Peter Boles n’ont qu’un seul client, Stanley Webber, dont ils s’occupent avec soin. Si ce travail est affecté à Meg, Peter installe les chaises sur la plage pour le confort des vacanciers. Ils ne savent pas grand-chose de leur pensionnaire qu’ils ont pris en affection, si ce n’est qu’il jouait autrefois du piano. Pourquoi a-t-il échoué là? Nul ne le sait. Stanley est un être taciturne et pas très sympathique qui répugne à se lever et ne se prive pas de tout critiquer. C’est son anniversaire. Les Boles aidés de Lulu, une jeune fille du voisinage, sont en train d’organiser la soirée, lorsque surviennent deux inconnus. Nat Goldberg et Seamus McCann demandent une chambre. D’autres questions se posent. Que viennent-ils faire là ? Connaissent-ils Stanley ? Ont-ils un compte à régler avec lui?
À mesure que les heures s’écoulent, ces questions deviennent superflues. La tension qui monte entre les personnages suffit. Stanley, plutôt agressif et méprisant avec les Boles, perd de sa superbe avec l’arrivée de Goldberg et McCann. Il refuse tout d’abord de répondre à leurs questions et de leur obéir, tente de se rebiffer puis, assez vite, ne manifeste plus d’opposition, subissant des assauts de plus en plus rudes, jusqu’au renoncement et à la soumission. Au début, c’est Goldberg qui mène la danse. McCann, son homme de main, exécute les ordres. La soirée d’anniversaire, à laquelle Peter Boles n’assiste pas, tourne au jeu macabre. Le lendemain, le rapport de force entre Goldberg et McCann n’est plus le même. Ce dernier a pris de l’ascendant. En voyant l’état de Stanley, Peter tente vaguement de s’interposer puis les laisse l’emmener. Après le départ des deux hommes et de leur victime dans une voiture qui les impressionne, les Boles reprennent leur petite vie comme si de rien n’était. Seule Lulu s’insurge avec impuissance de la manière dont Goldberg l’a traitée.
Harold Pinter explique dans sa conférence au Nobel 2005 : « Dans ma pièce l’Anniversaire, il me semble que je lance des pistes d’interprétation très diverses, les laissant opérer dans une épaisse forêt de possibles avant de me concentrer, au final, sur un acte de soumission ».
Cette deuxième pièce de l’auteur, écrite en 1958, très représentative de son œuvre qualifiée de « théâtre de la menace », permet à tout metteur en scène d’en offrir une vision personnelle. Claude Mouriéras ne fait pas exception. L’idiosyncrasie des personnages l’invite à une métaphore. Toute démocratie peut tomber un jour dans l’autoritarisme. Dans tout citoyen se terrent le traitre, le lâche, le bourreau et la victime. Les personnages de Pinter les illustrent parfaitement. Il y a une part de médiocrité chez Stanley, une part de lâcheté chez les Boles, une part de fragilité chez les deux bourreaux. Les bourreaux exécutent, ils ne savent pas ce qu’ils cherchent. Dans El Cuaderno de Maya, la romancière chilienne Isabel Allende écrit à propos de la répression consécutive au coup d’état du 11 septembre 1973 : « Ce n’étaient pas des interrogatoires, c’étaient des châtiments pour établir un régime oppressif et écraser dans l’œuf la moindre velléité de résistance de la part de la population». Personne ne peut rester indifférent face à la puissance dégagée par la mise en scène et à la fulgurante interprétation des comédiens. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


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